Citation: Justus Van Effen (Ed.): "XXIV. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\025 (1742), pp. 137-144, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2169 [last accessed: ].


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XXIV. Bagatelle.

Du Lundi 25. Juillet. 1718.

E2* Metatextuality► Lettre à l’Auteur. ◀Metatextuality

Level 3► Letter/Letter to the editor► « Nos Françoises vous trouvent un fort mauvais Peintre de Femmes, Monsieur ; vous faites trop ressembler. Mais elles ont beau se reconnoître au portrait [138] que vous en faites, telle est la force des préjugés, qu’elles ne troqueroient pas tous ces défauts, contre la beauté animée, l’air vif, libre & spirituel, & les maniéres engageantes de la plupart de vos Flamandes. Amour-propre à part, elles n’ont pas tout le tort, ce seroit mal entendre leurs intérêts ; car les Petits-Maîtres préféreront toujours le je ne sai quoi d’une jolie Laidron Parisienne, aux agrémens piquans des Hollandoises, eussent-elles toutes respiré le bon air, & pris les belles maniéres de la Haye. Les Françoises sont même si entêtées de leurs maniéres, qu’elles soutiennent que ces Equivoques & ces Chansons libres qu’on leur reproche, quand l’obscenité en est cachée sous la pureté des termes, choquent moins directement la pudeur, que certains mots très significatifs, qui échappent si naturellement aux Dames de ce Pays-ci. Et enfin, malgré tout ce que vous en dites, lorsqu’elles font comparaison, & opposent perfections à perfections, elles se trouvent encore assez contentes d’elles-mêmes, & peut-être de vous. Vous ne les prenez pas par leur endroit sensible, en leur reprochant leur peu de pudeur : elles ne se piquent que d’être aimables, elles croient avoir pris la bonne route pour y parvenir, elles se mettent peu en peine du reste. Et en effet, ne doit-ce pas être l’unique but de toutes leurs réflexions, & la régle de leur conduite ?

[139] Je parierois aussi que nos Petits-Maîtres vous savent bon gré, d’en avoir fait de si jolies machines, & qu’ils ont ri de bon cœur de la comparaison du petit Chien de Belise. Ils n’ont point de raison, dites-vous. Vraiment ils seroient bien fâchés d’être en possession d’un meuble si incommode. Voulez-vous savoir ce qu’ils en feroient, s’ils soupçonnoient qu’on les crût assez ridicules, pour penser qu’ils en voulussent faire quelque usage ? Ecoutez un de ces jolis Animaux fredonner cet air, en se disposant à prendre une nouvelle dose de Belles Maniéres, du meilleur cru de Bourgogne ou de Champagne.

Citation/Motto► Notre bride, dit le Curé,

C’est la Raison, c’est elle qui nous guide :
Or quand il met sa mule sur le pré,
Ou quand il la fait boire, il faut qu’il la débride.
Suivons cette comparaison,
Débridons - nous, Ami Grégoire,
Débridons-nous pour mieux paître & mieux boire,
Et pendons au croc la Raison. ◀Citation/Motto

Voilà une des judicieuses réflexions que font ces Aimables, en sortant d’un Spectacle de Carême, je veux dire de la Prédication de quelque Abbé à la mode, qu’il est du bel-air d’aller entendre dans ce tems-ci.

Je ne cherche point de transition, pour [140] vous dire que je vous envoie l’extrait d’une Lettre qu’une Dame, dont vous connoissez le mérite & le bon goût pour les Ouvrages d’esprit, m’a écrite. Metatextuality► Voici ce qu’elle me dit au sujet de la Bagatelle. ◀Metatextuality

Level 4► Citation/Motto► J’en admire l’invention,

L’heureux tour, & l’expression :
Son ingénieuse ironie,
Par-tout soutenue, & suivie,
Doit faire trembler plus d’un Sot,
Et rendre maint Savant capot. ◀Citation/Motto ◀Level 4

Quelque charmant que je trouve cet Ouvrage si heureusement varié, je veux aussi faire mon raisonnement sur le titre, aussi-bien que la Précieuse du Dialogue1 . Mais nous le critiquerons différemment ; & pour suivre la figure de notre agréable & savant Auteur, je vous dirai que le titre péche, en ce qu’il ne promet pas à beaucoup près tant qu’il donne. Avouez que c’est un grand défaut. Je trouve encore qu’il nous fait grace, dans sa comparaison de notre machine avec celle des Bêtes ; car il donne l’épithète de raisonnable au tiers des Hommes. En vérité, il n’y a pas le quart du demi-quart qui mérite ce beau-titre. Avouez-moi, Monsieur, que toute cette Feuille Philosophique, & plusieurs autres, passent la Bagatelle ; & que j’ai plus de raison que la Précieuse, de me recrier sur le titre.

Le caractére précieux est si bien attrapé dans le Dialogue, qu’il m’a fait souvenir de [141] ce qu’un de nos Poëtes dit d’une de ces Pèques, à l’occasion d’un mot très usité.

Citation/Motto► Quelle pitié ! c’est une horreur !

S’écriroit une Précieuse,
Qui, toujours tendre & sérieuse,
Ne veut ouïr parler que d’affaire de cœur, &c. ◀Citation/Motto

Si votre modestie vous fait trouver quelque peine à rendre public ce judicieux éloge, ou que vous craigniez qu’on ne vous l’attribue, je m’offre à être garant de la vérité, & à la prouver par l’original de la Lettre, à qui il appartiendra, toutes & quantes &c. Je voudrois qu’il me fût aussi facile de vous en prouver une autre, qui n’est pas moins constante : c’est, Monsieur, que j’ai l’honneur d’être avec la plus parfaite estime, &c. » ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3

A la Haye le 13. Juillet 1718.

Je me crois obligé en conscience d’avertir le Lecteur pénétrant, qu’il y a un peu d’ironie dans la Lettre qu’il vient de voir. Nos belles Flamandes y sont un peu maltraitées ; & si j’ose me flater d’entrer dans le sens de l’Auteur, il les croit insipides, fades, & raisonnablement sottes. Cette accusation doit paroître fondée à tous ceux qui ne se sont pas encore habitués au flegme de nos maniéres. Mais ils devroient se mettre dans l’esprit, que l’agrément est quelque chose de fort relatif au caractére des Nations.

[142] Les Romains, graves & austéres, auroient trouvé à coup sûr, dans le feu étourdi qu’on remarque dans les Parisiennes d’aujourd’hui, quelque chose de fort joli pour une Courtisane ; & la stupidité apparente de nos Belles, qui n’ont pas une suffisante teinture de l’Air François, leur auroit paru une espéce de vertu très convenable à une Fille destinée au seul métier d’être Femme & Mére. Horace, dans l’Ode dont j’ai donné une Imitation2 , trouve heureux le sort d’un Epoux, dont la Femme imite la rusticité des anciennes Sabines. Pour moi j’avoue ingénument, qu’une pareille Femme me déplaîroit fort ; & je ne vois pas qu’un air farouche & décontenancé puisse être un mérite dans le Beau-Sexe. Aussi est-il certain que nos Flamandes modernes ne sont pas aussi coupables de ce défaut, que les Etrangers pourroient le croire. J’en connois qui feroient paroli aux Parisiennes, sur la jolie impudence dont ces derniéres se font une espéce de gloire. Il est vrai qu’elles ne s’y livrent pas d’un petit air libre & dragon, qui est si naturel aux Françoises ; mais elles se dédommagent par la matiére, de ce qui peut leur manquer du côté de la forme. J’en connois d’autres dont le caractére paroit aux gens raisonnables un heureux & aimable mêlange de raison & de vivacité, de liberté & de pudeur. J’en trouve non seulement à la Cour, mais j’en ai vu même dans le fond de nos Provinces. Elles ne paroissent pas tout d’un coup ce qu’elles sont, leur prémier abord n’est pas prévenant, mais leur mérite se développe peu à peu : pendant très [143] longtems elles ont les graces de la nouveauté, & l’on y découvre avec plaisir un fond de bon-sens relevé par une légére broderie de Maniéres Françoises, ce qui ne fait pas un mauvais effet. Je ne m’étendrai pas davantage sur cette matiére ; mais au premier jour je régalerai le Public d’un Paralléle entre les Françoises, les Angloises, les Allemandes & les Hollandoises. Metatextuality► Et pour le présent, je remplirai ce qui me reste de mon cahier, d’un Sonnet & d’un Rondeau qui ont été assez goûtés par des Connoisseurs. ◀Metatextuality

Citation/Motto► Sonnet composé après le Grand Hiver.

L‘Arbitre des Frimats, l’Aquilon indomtable,

A contre nos sillons redoublé ses fureurs :
Le Laboureur en proye aux plus affreux malheurs,
S’attend en-vain aux soins du Ciel impitoyable.

Officieux Bacchus, d’une main secourable,
Dans ton Fleuve d’Oubli viens noyer nos douleurs.
Mais quoi ! sourd à nos cris, loin de tarir nos pleurs,
Ton courroux met le comble au sort qui nous accable.

Un triste Hiver s’étend sur toutes les Saisons ;
Le Printems & l’Eté ne sont plus que des noms,
Vers son prémier Cahos je vois pancher le Monde :
Mais je ne me plains point de la stérilité.

[144] La source de mes maux c’est la fertilité :
Ma Maîtresse, grands Dieux ! ma Maîtresse est féconde. ◀Citation/Motto

Citation/Motto► Rondeau à Iris sur son Mariage.

A Coup sûr, me disoit un Parieur peu sage,

L’Epoux futur d’Iris, dont l’aimable visage
Des plus vifs agrémens est un touchant amas ;
Cet Epoux, là-dessus je gage cent ducats,
Doit être au prémier jour Cornard à triple étage.

Moi qui ne puis souffrir un discours qui l’outrage,
Qui connois ton esprit, ton cœur, ton air, ton âge,
Je lui dis hardiment, qu’il ne gagneroit pas,
A coup sûr.
Fondé sur ta conduite avant ton mariage,
J’avois raison, je crois, de tenir ce langage ;
Car parmi gens d’honneur, Jeune Iris, c’est un cas
Qui du doute jamais ne souffre l’embarras,
Qu’on ne sauroit gagner, du moment que l’on gage,
A coup sûr. ◀Citation/Motto ◀Level 2 ◀Level 1

1V. l’XI. Bagatelle p.63

2V. la XV. Bagatelle.