Sugestão de citação: Justus Van Effen (Ed.): "Préface", em: La Bagatelle, Vol.1\001 (1742), S. 3-20, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2145 [consultado em: ].


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Préface

Nível 2► Pour développer les motifs qui m’ont fait entreprendre cet Ouvrage, j’avoueraï ici d’une maniére directe, & sans ironie, que le but que je me suis proposé, est de ramener les Hommes des ridicules impressions de la Coutume & de la Mode, aux principes éternels & invariables de la Raison, qui doivent être la seule régle de notre conduite.

J’ai cru le tour Ironique le plus propre à faire réussir mon dessein. Prouver que la Vérité, la Vertu, l’Esprit, tout ce qui est beau, grand, noble, découle de la Raison, comme d’une source inaltérable, c’est établir un principe dont les Hommes qui raisonnent un peu, croient être parfaitement convaincus, quoique dans le détail de leurs actions ils semblent en abhorrer l’évidence. Cette contradiction perpétuelle entre leurs Idées générales & leurs Jugemens particuliers, m’a porté à chercher un biais, pour leur faire sentir leur [4] égarément d’une maniére indirecte, & pour les conduire en badinant à un accord salutaire avec eux-mêmes. Pour cet effet j’ai fait semblant d’ôter la réalité au Mérité, de le détacher de la Raison ; & j’ai appuyé mes sophismes sur la conduite ordinaire de ceux d’entre les humains qui passent même pour sâges & éclairé. La Vérité est une espéce de Mode : on la cherche dans les impressions de la Coutume, & non pas dans le dictamen de la Raison : on met une Barriére entre la Vertu & la Religion, qui n’est autre chose qu’une Vertu rectifiée, & placée dans son plus beau point de vue. Cependant, on en fait presque par-tout un assemblage de certains gestes, de certaines formalités ; & l’on croit s’acquiter avec la Divinité, en la payant de quelques grimaces cérémonieuses.

Voilà des vérités d’expérience, qu’on découvre dans toutes les Sectes, quoiqu’qu’avec quelque inégalité. Je n’ai fait que les indiquer jusqu’ici : mais j’ai trouvé à propos de m’étendre davantage sur les fausses & dangereuses idées qu’on attache aux termes d’Hérésie & d’Orthodoxie, qui font autant de mal dans la Société Civile que la Guerre & la Peste, & qui semblent être autorisées à choquer la Rai-[5]son avec l’insolence la plus outrée.

La Lettre qu’on a vue sur cette matiére est de moi, j’aime trop la candeur pour ne pas l’avouer ingénument ; & les maximes qui y sont établies, me paroissent trop raisonnables pour en avoir honte. Ainsi, bien loin de répondre aux preuves qu’elle contient, je ferai ici mes efforts pour les appuyer & les éclaircir.

L’unique moyen de parvenir à la Vérité d’une maniére légitime, c’est le Raisonnement. Quelquefois la Raison tire toutes ses forces, pour ainsi dire, de son propre sein ; quelquefois elle trouve du secours dans l’Autorité, de laquelle pourtant elle ne s’aide jamais, qu’après 1’avoir examinée avec une attention calme, & après en avoir senti la certitude. De quelque maniére qu’elle opére, elle n’avance jamais d’un pas au-delà de l’Evidence, & elle s’arrête précisément où les idées claires & distinctes commencent à lui manquer. Elle aime mieux se contenter d’un petit nombre de Vérités démontrées, que de se perdre dans un cahos d’opinions mal conçues de probabilités vagues.

Tout Homme qui fait un pareil usage de l’inestimable faculté de raisonner, s’acquite du plus important devoir qui lui soit [6] imposé en qualité d’homme. Il répond dignement à l’excellence de sa nature, il se montre docile à la voix de la Divinité qui parle en lui. Au contraire, celui qui laisse croupir sa Raison dans une heureuse paresse, qui se laisse entraîner à tout hazard par le torrent des Opinions reçues, quoiqu’il ait la force de s’y opposer, est digne du plus profond mépris, quand il auroit machinalement dans le cœur les dispositions les plus excellentes, les panchans les plus heureux.

J’ai appellé le premier Orthodoxe, parce que par toute sa conduite il fait voir qu’il admet la nécessité de l’Examen. Vérité fondamentale, & source de toutes les autres Vérités.

J’appelle le second Hérétique par excellence, parce que par sa conduite il paroit rejetter ce Principe fondamental de toutes nos lumiéres, & qu’il semble avoir la Vérité en horreur ; & je soutiens que c’est-là l’unique régle fixe & inaltérable, par laquelle on puisse distinguer l’Orthodoxie d’avec l’Hérésie.

Je sai bien qu’en entendant par Orthodoxie la saine Doctrine, on y donne un sens réel ; mais l’application qu’on fait de ce sens ne sauroit être que vague. La saine Doc- [7] trine subsiste très réellement ; mais il n’y a point de Secte qui ne s’en croie la possession assurée, aux dépens de toutes les autres Sectes. Cette persuasion est aussi forte dans une Foi implicite, que dans une Foi raisonnée ; quoiqu’il soit démontré, que la saine Doctrine n’est rien pour ceux qui par la plus grossiére méprise croyant trouver la Vérité, ne saisissent que certaines expressions, dont ils ne pénétrent pas le sens, bien loin d’en confronter les idées.

Mais, dira-t-on, l’Homme seroit-il assez malheureux, pour ne pouvoir jamais se démontrer à soi-même qu’il posséde la Vérité, & que ceux qui n’admettent pas ses sentimens sont dans l’Erreur ? La difficulté est délicate : l’Evidence est la marque unique de la Vérité, & bien souvent il est très difficile de distinguer la fausse Evidence d’avec la véritable. J’ai eu autrefois certaines opinions que je n’ai plus, & autant que je puis m’en souvenir, cette opinion faisoit sur mon ame la même impression de certitude que je sens à présent. Cependant il est certain qu’il y a des Vérités qui ont pour tous les Hommes une Evidence générale, & par conséquent véritable. Telles sont les Mathématiques, & la Morale qui est susceptible d’une dé-[8]monstration presque aussi exacte que la Géométrie, & qui constitue la partie la plus importante de la saine Doctrine. Les Vérités Mathématiques ne doivent pas passer pour des Spéculations uniquement utiles au commerce de la Vie. En nous débrouillant avec une méthode certaine les Secrets les plus mistérieux de la Nature, elles démontrent invinciblement l’Existence de Dieu à tous ceux dont l’attention n’est pas distraite par une mauvaise situation du cœur, & elles nous apprennent à nous conduire surement dans tous nos autres raisonnemens.

Il est vrai que la Religion a des Dogmes qu’on regarde comme extraordinairement importans, à l’égard desquels l’Evidence n’étant rien moins que générale, doit être en quelque sorte sujette à caution. On peut en alléguer plusieurs raisons sensibles.

La prémiére a sa source dans ces mêmes idées de l’Orthodoxie, qui me paroissent si dangereuses.

Un Pére donne à ses Fils une espéce de Faisceau d’Opinions, enveloppé soigneusement de mépris & de haine pour toutes les prétendues Hérésies. Ils le regardent comme un Dépôt sacré auquel il n’est point permis de mettre la main ; & ce [9] Faisceau héréditaire passe dans son entier d’une race à l’autre, jusqu’à ce qu’enfin un Cœur généreux, un Génie dégagé, ose le délier, en examiner toutes les piéces, & n’en conserver que celles que le Bon-Sens aprouve. Jusqu’à ce tems toutes ses opinions ont été inaccessibles à la véritable Evidence, défendues, pour ainsi dire, par une Evidence artificielle, donc la fausse lueur a sa source dans les Passions.

Il arrive quelquefois qu’un Homme est déterminé par la force de sa Raison à la noble hardiesse d’examiner ses sentimens, mais qu’il lui est presque impossible de profiter de son examen. Il n’examine qu’avec une ferme résolution de ne rien changer dans ses idées ; la Vérité se présente en vain à ses yeux ; son ame, toute occupée d’une aveugle horreur pour les Hérésies, tremble en croyant seulement en appercevoir l’ombre ; l’amour qu’il a pour ses opinions, prête une force étrangére, & presque’invicible aux plus foibles preuves qui semblent les appuyer, & le rend content & satisfait des moindres subterfuges par lesquels il peut s’échapper aux Démonstrations les plus formelles. En le portant à l’examen, il n’a pas osé mettre son dans cet heureux équilibre, qui ne [10] peut être détruit par le poids des preuves.

S’il m’est permis de parler naturellement, je dirai que c’est la faute de la plupart des Ministres de l’Evangile d’entre toutes les Sectes. Il y a même parmi eux de fort honnêtes gens, qui haïssant l’Esprit de persécution, ne laissent pas d’être les dupes de leur zéle indiscret. Ils enseignent en général, qu’il est défendu de haïr les Hérétiques, mais dans le détail ils oublient leurs propres maximes. Ils ne se contentent pas d’exposer avec force ce qui leur paroit Vérité, ils donnent les titres les plus odieux à ceux qui ne l’admettent pas.

Sentiment sacriléges, Erreurs impies, Egaremens de la derniére extravagance, Opinions damnables, ce sont-là les expressions par lesquelles ils ébranlent l’ame de leurs Auditeurs, avant de songer à la convaincre par la force des preuves : l’Equilibre ne subsiste plus, & l’Auditeur est hors d’état de chercher la Vérité par des voies légitimes.

Il faut avouer que cette conduite des Prédicateurs peut découler d’un ardent amour pour la Vérité ; mais c’est un amour de Passion, qui n’est pas docile au Raisonnement.

Ils supposent que le Salut dépend en [11] partie du consentement que l’on donne à certains Dogmes, soit machinalement, soit d’une maniére raisonnée ; & voilà la cause funeste de ces frissons dont l’ame est saisie & troublée dans la recherche de la Vérité, à la moindre apparence d’Erreur par rapport à ces Dogmes distingués.

Une <sic> Homme grave, éclairé, me dit que je suis hors d’état de Grace, si je refuse de croire telle ou telle chose ; & moi je voudrois me hazarder à tomber dans un malheur éternel, en m’exposant aux dangers de l’Examen ? Je voudrois être à ce point ennemi de moi-même ? A Dieu ne plaîse ! il vaut mieux que je force mon imagination à entrer dans les intérêts de mon salut, & que je me dupe moi-même, en m’imaginant de croire ce dont je ne suis point-du-tout convaincu par la force des preuves.

Il y a peu d’ames assez fortes pour n’être pas susceptibles de pareilles frayeurs, de-là vient que la masse générale des Hommes croit risquer davantage du côté des Dogmes, que du côté du Devoir. La plupart des Hommes sacrifieront leur fortune à leur attachement pour la saine Doctrine, dans le tems qu’ils commettront hardiment un adultére, ou une injustice criante.

Certains Génies d’un ordre plus-relevé, [12] osent en quelque sorte secouer le joug de la Prévention, & croire que peut-être le Salut ne dépend pas de tel ou de tel Dogme que son Curé lui prêche. Mais il est pourtant persuadé en général, qu’on n’est pas en état de Grace, si l’on est assez malheureux pour tomber dans l’Erreur par rapport aux Points importans de la Religion. Cette opinion le force à ne rien négliger pour parvenir à là Vérité ; mais ses efforts sont toujours accompagnés d’angoisses mortelles. Plus il a l’esprit Philosophe, plus il est porté à ne rien admettre qui ne soit exactement prouvé, & à repasser continuellement sur les conséquences qu’il a tirées de ses principes ; & plus il a sujet d’être sans cesse dans une crainte mortelle, de manquer les Vérités dont dépend son bonheur éternel. Son ame ne sera jamais dans le calme nécessaire pour bien raisonner ; l’Examen lui paroîtra une occupation pénible & affreuse ; & il n’est pas impossible que son ame ne devienne la proie d’un desespoir incurable.

Rien n’est donc plus important, que d’examiner de sang froid, si une pareille crainte est bien fondée, & si jamais une Erreur peut être damnable, quand on y est engagé de bonne foi, & malgré les plus grands efforts qu’on a fait pour raisonner juste. [13] Je dirai hardiment, que je suis forcé à ne le pas croire, par les idées nobles & grandes que nous devons nous former de la Bonté & de la Justice de Dieu. L’Erreur que je viens de dépeindre, est invincible ; la fausse Evidence qui nous la fait paroître comme une Vérité, nous fait un devoir de nous y attacher ; en un mot, dans un pareil cas, nous nous égarons sans crime, & il nous est impossible de ne nous pas égarer. S’imaginer qu’on puisse dévenir l’objet de la vengeance de Dieu pour ne pas faire l’impossible, c’est sapper la Baze de toutes les Perfections Divines, c’est ôter à Dieu ce Caractére aimable de Justice & de Bonté, qui seul peut porter la Créature raisonnable à regarder la Divinité comme le Souverain Bien.

Me répondra-t-on, que la Justice & la Bonté sont en Dieu d’une espéce différente, de ce qu’il nous a ordonné lui-même de considérer comme Juste ? Cette objection seroit la plus dangereuse de toutes les Hérésies. Il est de la nature de tout Etre intelligent de s’aimer. Dieu ne peut donc que s’aimer souverainement, & par conséquent il ne lui est pas possible de nous représenter, comme vertueuses & aimables, certains dispositions contraires [14] à ses propres Attributs. S’il y avoit de la possibilité, les Hommes seroient les Créatures les plus malheureuses ; & Dieu ne les auroit faits à son Image, que pour les rendre les victimes d’un Caprice tirannique. Nous ne pourrions conclure de la merveilleuse structure de l’Univers, sinon que son Auteur est souverainement puissant, & d’une intelligence infinie ; mais nous ne pourrions pas faire même le moindre fond sur la Véracité, & nous serions toujours inquiets sur l’accomplissement de ses promesses.

Je ne crois aucun Homme assez hardi pour me nier ces Principes, & par conséquent je suis en droit d’en conclure, que Dieu ne punira point les Hérésies où les efforts de l’Examen nous engagent de bonne foi, & dans lesquelles nous ne tombons que parce que nous faisons notre devoir : Mais qu’il nous punira, si nous avons négligé de faire des efforts suffisans pour éclaircir nos idées, puisque ces efforts dépendent de nous.

Je crois non seulement le sentiment que j’ai là-dessus, de la derniére évidence, mais encore de la plus grande utilité pour le Genre-humain. Un Homme qui en est convaincu, est en état d’approcher de l’examen avec un cœur dégagé des Passions, [15] avec un esprit entiérement affranchi du joug des Préjugés, avec une ame délivrée de vaines Frayeurs. Il est capable d’écouter la voix de la Raison dans un religieux silence. Il ne se fera pas la moindre difficulté de rapeller tous ses jugemens passés devant le Tribunal du Bon-Sens, & de s’efforcer à déterrer quelque préjugé secret qui peut être échappé à son attention. Toujours docile, toujours accessible à l’Evidence, il continuera sans relâche à se défaire de la Prévention ; & il regardera toujours comme la Prévention la plus dangereuse, la persuasion téméraire de s’être débarassé une fois pour toutes de tous les Préjugés. S’il se voit forcé à suspendre son jugement, & à douter de ce qui paroit clair à des Esprits plus présomtueux, ou plus pénétrans ; content de faire son devoir, il doutera sans inquiétude, & il n’aura garde de se croire criminel, parce qu’il est raisonnable ; il différera la décision avec tranquilité, jusqu’à ce qu’il se sente guidé par des lumiéres plus vives ; jamais il ne regardera comme les Ennemis de Dieu & de la Vérité, ceux qui n’admettent pas ses sentimens ; il ne fondera jamais son amitié ou son aversion sur les idées de son Prochain, mais [16] sur leurs mœurs, mais sur leur attention ou sur leur négligence par rapport à sa saine Doctrine. Le plaisir satisfaisant de la réflexion, ce plaisir uni à l’ame de la façon la plus intime, ne sera accompagné chez lui d’aucun trouble fâcheux. Il se hâtera pour le goûter, & il y employera avec la plus douce satisfaction tous les momens que lui laissera la nécessité absolue des occupations de la Vie Civile. Il sentira, que travailler à rectifier ses idées & à les augmenter, c’est s’amasser le plus précieux des Trésors, donner de l’étendue à l’amé, & lui procurer plus de perfection, plus de grandeur, plus de majesté.

Si à cette situation calme & tranquille de la Raison, les Hommes vouloient bien ajouter la précaution salutaire de n’aller jamais plus loin que leurs idées, de ne point supposer de la réalité à des expressions entiérement vuides de sens, de n’admettre jamais une proposition sans avoir épluché le sens de chaque terme ; je crois fort que les Génies ordinaires même trouveroient la Vérité assez facilement. Bien-tôt une Evidence générale éclaireroit tous les Hommes par rapport aux Vérités les plus nécessaires. Certains Dogmes, où les Génies les plus forts trouvent les plus [17] grandes difficultés, resteroient peut-être indécis, & une sage retenue mettroit les mêmes bornes à notre curiosité, que la Nature a mises à nos lumiéres. Quoi qu’il en soit, le Régne de la Vérité seroit paisible ; notre amour pour elle seroit un attachement calme de la Raison, avec lequel les Passions n’auroient rien à démêler ; le zéle ne ressembleroit plus au sang, qui dans un corps malade se précipite dans les veines avec une espéce de fureur ; mais au sang qui parcourt avec une tranquilité toujours égale, les méandres d’un corps bien disposé.

Je n’ignore pas que des Gens véritablement pieux, prétendent qu’on ne sauroit posséder la Vérité avec une conviction absolue, que par un effet de la Grace. Mais je leur demande pardon, si j’ose leur dire qu’ils se servent d’un langage qu’ils n’entendent pas. A Dieu ne plaîse ! que je rejette le secours de la Grace comme une chimére des Bigots : je le trouve trop généralement & trop clairement établi dans les Livres Sacrés, pour douter en aucune maniére de sa réalité : je ne trouve même rien de plus digne de la Bonté Divine, que de remédier à la foiblesse de la Créature raisonnable, quand avec respect & avec humilité elle tâche de tirer ce secours de la Source des Lu-[18]miéres. Mais je ne croirai jamais que la Grace détruise l’excellence de notre Nature, & que d’un Agent intelligent & libre elle fasse une Machine nécessaire & aveugle. Si elle nous éclaire, ce n’est qu’en calmant nos passions, en dissipant le nuage de nos préjugés, en redoublant, en fixant notre attention, & en augmentant la force & la vivacité de nos lumiéres : elle ne nous inspire point une conviction brute & machinale, dont il est impossible de former une juste idée ; mais elle aide notre Raison à sentir la force des preuves, & à parvenir à une conviction naturelle & raisonnable. D’ailleurs, alléguer une conviction machinale, produite immédiatement par le St. Esprit, c’est se servir d’une preuve qu’un grand nombre de Sectes sont toutes prêtes à retorquer avec confiance, & par conséquent d’une preuve qui ne signifie rien.

Voilà, Lecteur, mon sentiment sur l’Orthodoxie, sur lequel je ne refuserai jamais un combat de plume, si quelqu’un trouve à propos de m’attaquer. Je le place dans ma Préface, parce que j’en ai trouvé l’exposition un peu trop sérieuse pour entrer dans le Corps de mon Ouvrage. C’est le commentaire du tour Ironique [19] par lequel j’ai soutenu que la Vertu & la Vérité étoient des choses imaginaires, dépendantes du tems & des circonstances. Je ne vois point de milieu. Il faut être du sentiment que j’ai tourné en ridicule, sous prétexte de le défendre ; ou bien, il faut se ranger de l’opinion pour laquelle je viens de plaider très sérieusement.

Ce que j’ai dit du Méchanisme des Hommes, sert à établir la même Vérité ; & j’ai de la peine à croire, que mes Lecteurs ne soient pas assez éclairés, pour ne pas comprendre ce que j’ai dit sur la Royauté Héréditaire, & sur le Bonheur que la Vanité emprunte de l’Imagination.

Mes quatre ou cinq prémiéres Bagatelles roulent sur les défauts de Stile que je crois remarquer dans les Auteurs François les plus modernes, qui semblent préférer le prétendu Délicat de quelques phrases mistérieuses, à l’obligation où tout Ecrivain est de dire quelque chose. J’ai eu surtout en vue un certain petit Stile coupé, qui divise une Période d’une juste longueur en vingt petites Sentences, bouffies de vent, & vuides de réalité, & qui par-là charment un Lecteur qui n’a que des oreilles.

J’ai parlé encore des causes naturelles du Relâchement des Hommes dans les Bon-[20]nes Mœurs, & dans l’Amour de la Patrie. Les Raisons que j’en ai alléguées, quoiqu’Ironiques, seront très véritables, tant que les hommes voudront être des Agens nécessaires, dépendre absolument des circonstances où ils se trouvent, & rejetter le Flambeau de la Raison.

Persuadé que ces espéces d’Enigmes seroient faciles à débrouiller, j’ai été la dupe de la bonne opinion que j’avois des Hommes. Je veux donc changer de plan. Le Systême général de mon Ouvrage ne sera plus l’Ironie1 , quoique je n’y renonce pas absolument : il est difficile de badiner sans une pointe de Sel Ironique. Mais quand il m’en prendra envie, je mettrai au frontispice de ma Feuille Volante un i capital, afin que le Public soit au fait.

Je garderai mon Titre, & en appellant desormais Bagatelle tout ce qui choque la Raison, je serai bien malheureux si l’Ouvrage & le Titre n’ont pas toujours quelque relation ensemble ; & quand il en arriveroit autrement, il n’importe guéres. J’ai envie de parler de tout, & de me laisser conduire par mes réflexions à l’aventure. Est-ce manquer de parole, que de donner au-delà de ce qu’on a promis ? ◀Nível 2 ◀Nível 1

1A commencer dans cette N. Edition depuis la Xxxvi. Bagatelle, T. I. p. 201, jusqu’à la fin de l’Ouvrage.