Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\061 (1720), S. 367-372, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1359 [aufgerufen am: ].


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LXI. Discours

Zitat/Motto► Inter 1 strepit Anser Olores.
Virg. Ecl. IX. 36.

L’Oie se mêle de barboter entre les Cygnes. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Lettre sur les Préjugez où tombent les différents Parties. ◀Metatextualität

Ebene 2► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« Metatextualität►  Pour répondre à l’invitation, que vous avez faite, dans un de vos derniers Discours, à tous ceux qui voudroient vous écrire sur quelque Sujet digne de la curiosité du Public, je vous envoie ce petit Essai contre les Préjugez qui regnent dans le monde. ◀Metatextualität

L’Homme est un Animal sociable & qui aime la gloire : Ainsi, d’abord qu’il y en a quelques uns qui forment un Corps entre eux, ils cherchent à élever leur réputation sur les ruïnes de celle des autres. Les bons Politiques se bornent à conduire les ressorts en cachette, & à se réjouïr en secret du progrès qu’ils font : L’éclat & le triomphe sont pour les Es-[368]prits badins & superficiels : Les Oies sauverent par hasard le Capitole. De-là vient que les Marques & les Dévises, qui servent à distinguer les Partis, doivent leur origine aux petits-Maîtres & aux Belles de cette Isle. Les différens retroussis des Chapeaux se sont défiez long tems les uns les autres ; les Mouches diversement placées sur les Visages ont été sur le point de se livrer bataille ; les Fonds publics ont haussé ou baissé avec les Coifures de nos Dames ; & l’on atendoit la Paix ou la Guerre, suivant que la Coife blanche ou la rouge prévaloit. Ce sont les Porte-Etendards de nos Armées ennemies, les Nains & les Ecuïers qui portent les Dévises des Géans ou des Chevaliers, & qui ne sont pas nez pour se battre eux-mêmes, mais pour disposer toutes choses au Combat.

On ne peut que s’étonner de voir quelle est la force des Préjugez sur une infinité d’Esprits médiocres & d’une Imagination vive, qui croient que tous ceux d’un autre Parti sont des Voleurs & des Brigands. Les Etrangers se plaignent qu’il n’y a pas de Nation au monde plus enflée d’orgueil que les Anglois. Peut-être que les autres en ont aussi leur part ; mais, qu’il en soit tout ce que l’on voudra, un tel reproche, qui tombe sur un Peuple entier, ou sur les différentes Societez d’Hommes unis ensemble, est le défaut contre lequel j’écris. On doit [369] avouer, à notre honte, que nos Gens du commun, & la plûpart de ceux qui n’ont pas voïagé méprisent injustement la Langue, la façon des Habits, les Coûtumes, la Taille même & l’Esprit des autres Nations. Quelques-uns, qui ne manquent pas d’ailleurs de bon Sens, s’étonnent qu’un grand Génie puisse venir d’Irlande, & ils vous prendront pour un Fou, si vous leur soutenez qu’en Laponie on a écrit de belles Odes.

Cet Esprit de jalousie qui régnoit autrefois entre nos deux Universitez est absolument éteint, & nos Colleges n’y sont presque plus sensibles. Le desir de la Gloire domine toûjours dans les Paroisses & les Ecoles : Ces petites Républiques ne manquent pas de renouveller leurs animositez mutuelles, d’abord que la Saison de jouer au Balon, & de faire battre les Coqs arrive. Mon Fermier à la Campagne est très-persuadé, qu’il n’y a pas un seul honête Homme dans la Paroisse opposée à la sienne.

J’ai toujours haï les Satires contre les Femmes & les Hommes en général : Un Etranger qui se moque de la Religion des Médecins m’est suspect : Ma bile s’échaufe lors que je vois un Sot & un Fripon turlupiner les Maires & les Echevins ; & je n’ai jamais été plus aise que de voir donner la bastonnade à un Avocat du Temple, qui drapoit souvent les Ministres.

[370] Les nécessitez des Hommes demandent la diversité des Emplois & quiconque excelle dans le sien mérite des éloges. Tous les Hommes ne sont pas élevez de la même maniere, & ne possedent pas les mêmes talens. Ceux qui en manquent sont dignes de compassion, & ont droit à nôtre assistance. Il est impossible qu’ils soient tous instruits dans le même Lieu ; mais par tout il s’éleve, en divers tems, des Personnes qui font honneur à leur Société, & qui peuvent exciter l’envie des petits Esprits mais qui sont admirées & cheries des Ames nobles & généreuses.

C’est sans doute un grand bonheur d’être élevé dans des Societez, où il y a des Professeurs illustres & habiles. Leurs Instructions & leurs Exemples sont d’un avantage tout extraordinaire. Cela sert à inspirer tant de respect pour ceux qui gouvernent ces Communautez, & à s’interesser si bien à l’honneur du Lieu que les jeunes Membres, animez d’une honnête émulation, ne pensent qu’à des Entreprises dignes de leur recherche : Mais remplir le cerveau de la Jeunesse du prétendu mérite de leur Société, aux dépens & à l’exclusion de toutes les autres, c’est lui faire un tort irréparable. De-là vient que leurs efforts sont presque toûjours languissans, & qu’ils se rendent incommodes par leur babil, persuadez que, pour aquerir de l’estime, il leur suffit [371] d’être les Eleves de quelque illustre Corps. Pour moi, je croirois la méthode plus sûre & plus généreuse, si on leur mettoit devant les yeux l’Exemple de Personnes qui ont brillé avec éclat dans des Societez moins renommées ; ce qui formeroit un reproche tacite contre l’indolence de ceux qui s’endorment & se reposent sur le mérite de leurs Confreres : C’est ainsi que les bons Esprits ce donneroient de l’étendue, au lieu que, par l’imitation servile d’un seul, ou peut-être de deux Hommes admirez dans leur Société, ils ne peuvent aquerir qu’une réputation empruntée & de la seconde main. Ces nouveaux Hommes copiez, pour ainsi dire, d’après d’autres, de même que les Copistes des Auteurs & des Peintres, tombent dans des afectations d’un tour un peu singulier, qui n’étoit peut-être pas desagréable dans l’Original, mais qui sied fort mal à l’Esprit borné de l’Imitateur.

Et l’on corrigeoit ainsi de bonne heure le sot orgueil de la Jeunesse ; à mesure qu’elle avanceroit en âge, elle aprendroit peu à peu à ne pas critiquer les autres en l’air ; mais à se remplir le cœur de bienveillance & d’humanité pour tout le monde ; ce qui leur rendroit la vie plus douce à eux-mêmes, & les feroit aimer des autres.

De pareilles reflexions m’ont si bien délivré de toute sorte de Préjugez, que [372] je pourrois voir le Pape & les Cardinaux, sans m’en trémousser beaucoup, quoi que bon Protestant, & que je me flate de trouver en bonne compagnie à Paris, quoi que d’un naturel fort sérieux. Je suis &c. »

T. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Il y a dans Virgile strepere, que l’Auteur Anglois a changé en strepit.