Cita bibliográfica: Anonym (Ed.): "XLIV. Discours", en: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\044 (1720), pp. 260-264, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1342 [consultado el: ].


Nivel 1►

XLIV. Discours

Cita/Lema► Causa latet, vis est notissima
Ovid Metam. L. IV. 287.
La cause en est cachée ; mais l’effet en est très-connu. ◀Cita/Lema

Metatextualidad► Quelles sont les Causes finales du plaisir que l’imagination reçoit de tous les Objets qui nous environnent. ◀Metatextualidad

Nivel 2► Nous venons de voir que tout ce qui est grand, extraordinaire, ou beau donne du plaisir à l’Imagination ; mais il faut avouer qu’il nous est impossible d’assigner la véritable Cause de ce plaisir ; parce que nous ne connoissons ni la nature d’une Idée, ni la substance de l’Ame. Si l’une & l’autre nous étoient connues, cela pourroit nous aider à découvrir la conformité ou l’opposition qu’elles ont ensemble. Mais puis que cette lumiere nous manque, tout ce que nous pouvons faire dans les recherches de cette nature, c’est de reflechir sur les operations de l’Ame qui sont les plus agréables, & de ranger, sous certains Chefs généraux, ce qui plait ou déplait à l’esprit, sans être en état de remontrer jusques aux Causes efficientes qui produisent le Plaisir ou le Dégoût.

Pour les Causes finales, il y en a tant qui apartiennent au même Effet, qu’il nous est plus aisé de les découvrir, & quoi qu’elles ne soient pas aussi satisfaisantes que les autres, elles nous sont d’ordinaire plus uti-[261]les ; en ce qu’elles nous donnent plus d’occasion d’admirer la Bonté & la Sagesse du Créateur de l’Univers.

Une des Causes finales du Plaisir que nous trouvons dans tout ce qui est grand peut être celle-ci. Le souverain Monarque du Monde a formé l’Esprit de l’Homme d’une telle maniere, qu’il n’y a que lui seul, & la contemplation de son Etre, qui puisse faire son véritable Bonheur. Afin donc que nos Ames eussent du goût pour cette contemplation, il les a faites en sorte qu’elles se plaisent naturellement à reflechir sur ce qui est grand & sans bornes. Notre Admiration, qui est une sécousse fort agréable de l’Esprit, ne manque jamais d’être excitée lors qu’il vient à considerer un Objet qui occupe beaucoup de place dans l’Imagination, & ne peut ainsi que se changer en une profonde veneration lors que nous contemplons la Nature Divine, qui n’est bornée ni par le Tems ni par le Lieu & que la plus vaste Capacité de tous les Etres créez ne sauroit bien concevoir.

Dieu a joint un plaisir secret à l’Idée de tout ce qui est nouveau ou extraordinaire, pour nous engager à étendre nos connoisances, & nous animer à la recherche des merveilles de sa Création ; car chaque nouvelle Idée est suivie de tant de plaisir, qu’il nous dédommage bien de la peine que nous avons euë pour y arriver, & qu’il nous sert de motif à pousser plus loin nos découvertes.

[262] D’ailleurs il a rendu agréable aux Créatures animées tout ce qu’il y a de beau dans chacune de leurs Espéces, afin qu’elles fussent portées à se multiplier & à remplir le Monde d’Habitans. Aussi est-ce une chose digne de remarque, que, par tout ou la Nature est forcée à produire un Monstre, qui résulte d’un mêlange opposé à son train ordinaire, la Race est incapable de se perpetuer & de fonder un nouvel Ordre de Créatures ; de sorte que, si tous les Animaux n’étoient amorcez chacun par la beauté de son Espéce, la Multiplication finiroit, & la Terre seroit dépeuplée.

Enfin il nous a rendu agréable tout ce qu’il y a de beau dans les autres Objets, ou plutôt il les fait paroitre beaux, afin que toute la Création en soit plus gaie & plus divertissante. Il a donné le pouvoir à presque tout ce qui nous environne d’exciter une idée agréable dans l’Esprit : en sorte qu’il nous est impossible de regarder ses Ouvrages avec froideur ou indifference, & de voir tant de beautez sans un plaisir secret. Les objets ne plairaient guère à l’œuil, si nous apercevions la véritable figure de leurs moindres parties & leurs mouvemens. Quelle raison pourroit-on alléguer de toutes ces idées qu’ils excitent en nous, si différentes de tout ce qui se trouve en eux-mêmes, comme sont la Lumiere & des Couleurs, si Dieu ne les avoit destinez à servir d’ornement à l’Univers, & à le rendre plus agréable à l’Imagination ? Nous [263] voïons par tout des Scènes & des Apparences qui nous plaisent ; nous découvrons des Beautez imaginaires dans le Ciel & sur la Terre, & il y en a quelques traits répandus sur toute la Création ; mais quel spectacle afreux & grossier ne donneroit pas la Nature, si toutes ses Couleurs venoient à disparoitre, & que les différens mêlanges de la Lumiere & de l’Ombre s’évanouissent ? En un mot, nos Ames s’égarent & se perdent aujourd’hui dans une agréable Illusion, & nous avons à peu-prés le sort d’un Heros de Roman, qui voit des Châteaux, des Bois & des Prairies d’une beauté ravissante ; mais à la fin de quelque enchantement secret, toute cette belle Décoration s’éclipse & l’infortuné Chevalier se trouve dans une Plaine sterile, ou dans un Desert solitaire. II n’est pas hors de la vraisemblance que l’Ame, après être sortie du Corps, se verra en quelque sorte dans le même état, eu égard aux idées qui lui pourront venir de la Matiere, quoi que celles des Couleurs soient si agréables à l’Imagination, qu’elle pourroit bien n’en être pas privée, ou les recevoir à l’occasion de quelque autre Cause, de même qu’elles y sont excitées aujourd’hui par les différentes impressions de la Matiere subtile sur l’organe de la Vûe.

Il est aisé de voir que je supose ici mes Lecteurs instruits d’une découverte moderne, & reconnue pour vraie de tous la Physiciens, je veux dire que la Lumiere & [264] les Couleurs, telles que l’Imagination les conçoit, ne sont que des Idées de l’Esprit, & non pas des Qualitez inhérentes ou qui existent dans la Matiere. C’est une Verité que plusieurs Philosophes modernes ont prouvée invinciblement, & une des plus belles Speculations de la Physique ; mais s’il prenoit envie à quelcun de mes Lecteurs de la voir expliquée au long, qu’il me permette de le renvoïer à Mr. Locke, ou au Chapitre VIII. du Livre II. de son Essai philosophique concernant l’Entendement Humain.

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