Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\023 (1720), S. 134-139, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1321 [aufgerufen am: ].


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XXIII. Discours

Zitat/Motto► Criminibus debent Horros.
Juv. Sat. I. 75
Ces Jardins sont les fruits des plus grands Crimes. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Nouveaux traits, qui caracterisent le Chev. de Coverley. ◀Metatextualität

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Assis l’autre jour dans ma Chambre, où je méditois sur un sujet qui pût servir au Discours, qu’il me faloit publier, j’entendis fraper deux ou trois coups irreguliers à la porte de mon Hôtesse, &, un moment après, un Homme enjoué, qui demandoit à haute voix, si le Philosophe étoit au Logis. L’Enfant qui ouvrit la porte, lui répondit fort innocement, qu’il n’y logeoit pas. Là-dessus, je me rapellai que c’étoit la voix de mon bon Ami le Chevalier de Coverley, & que je lui avois promis d’aller faire un tour à 1 Spring-Garden avec lui, s’il faisoit beau tems. Je ne fus pas plûtôt sorti de ma Chambre, qu’il me cria, du bas de l’Escalier, pour me sommer de tenir ma parole ; mais il ajouta que, si j’étois occupé à écrire quelque Speculation, il resteroit en bas [135] jusqu’à ce que j’eusse achevé. A mon arrivée auprès de lui, je le trouvai environné de tous les Enfans de la Maison ; & mon Hôtesse même, qui est une insigne Causeuse, discouroit avec lui à perte de vûe, charmée d’ailleurs de ce qu’il passoit la main sur la tête de son petit Garçon, & de ce qu’il l’exhortoit à être sage & à bien aprendre sa Leçon.

Nous ne fumes pas plûtôt à 2 l’Escalier du Temple, qu’une troupe de Bateliers nous vint offrir leurs services. Le Chevalier les parcourut tous des yeux, & sur ce qu’il en découvrit un qui avoit une jambe de bois, il lui ordonna de nous passer de l’autre côté de la Riviere. Dialog► Vous devez sçavoir, ajouta-t-il, en s’adressant à moi, que je ne me sers jamais d’aucun Batelier, qui n’ait perdu un bras ou une jambe. J’aime mieux que le Bateau n’aille pas si vîte, & emploïer un honnête Homme qui a été blessé au service de la Reine. Si j’étois Seigneur Seculier ou Ecclesiastique, & que j’eusse une 3 Berge pour me divertir, je n’y mettrois aucun Rameur à ma Livrée qui n’eut une jambe de bois. ◀Dialog

Après que mon vieux Ami se fut assis dans le Bateau, avec son Cocher, qui est un fort bon Homme, & qui sert toûjours [136] de lest en pareille occasion nous voguames vers 4 Fox-Hall. Ensuite il engagea le Batelier à nous entretenir de la perte de sa Jambe droite, qu’il nous dit avoir laissé à La Hogue ; & sur le détail qu’il nous donna de cette glorieuse Journée, Mr. De Coverley, dans la joie, de son cœur, fit diverses reflexions sur le triomphe de la Nation Britannique. Il soutint, par exemple, qu’un Anglois pouvoit batre trois François ; que nous n’aurions jamais rien à craindre du Papisme, si l’on avoit soin de tenir notre Flote en bon état ; que la Tamise étoit la Plus belle Riviere qu’il y eut en Europe ; que le Pont de Londres étoit un plus beau Chef-d’œuvre qu’aucune des sept Merveilles du Monde : il avança plusieurs traits de la même nature, fondez sur les honêtes préjuges qui naissent dans l’Esprit de tout Anglois de la vieille roche.

Au bout d’une petite pause, le Chevalier, qui avoit tourné deux ou trois fois la tête pour bien examiner cette grande Métropole, me dit de prendre garde à la quantité d’Eglises, dont la Ville étoit ornée, & qu’on n’en voïoit presque aucune en deça de Zitat/Motto► Temple-bar, Triste spectacle, ajouta-t-il, & qui sent bien le Paganisme ! Il n’y a point de Religion de ce côté-là. Il est vrai que les cinquante Eglises, qu’on doit bâtir, en ren-[137]drons la perspective infiniment plus agréable ; mais tout Ouvrage, qui regarde l’Eglise, ne se fait qu’à pas comptez, & avec une extrême lenteur. ◀Zitat/Motto

Ebene 3► Fremdportrait► Je ne me souviens pas d’avoir dit jusques-ici qu’un des traits, qui forment son Caractère, est de saluer tous ceux qu’il rencontre en chemin, & de leur souhaiter le bon jour, ou le bon soir. Il en use de cette maniere par un principe d’Humanité, quoi que d’ailleurs cette méthode l’ait rendu si populaire auprès de tous ses Voisins à la Campagne, qu’elle a bien contribué, à ce que l’on croit , à le faire nommer une ou deux fois Député de la Province au Parlement. Il ne sauroit s’abstenir de cet acte de bienveillance même ici en Ville, lors qu’il rencontre quelcun dans sa Promenade du matin ou du soir. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3 Il lui échapa sur la Riviere à l’occasion de divers Bateaux qui passerent auprès du nôtre ; mais, lors qu’il eut souhaité le bon soir à deux ou trois jeunes Gaillards, un peu avant que d’arriver à l’autre bord, il fut bien étonné d’entendre que l’un d’eux, au lieu de lui rendre la-même civilité, nous demanda qui étoit ce vieux Penard & ce fin Matois que nous avions dans le Bateau ? s’il n’avoit pas honte à son âge d’aller courir le guilledou ? & telles autres Questions conformes au Langage qui se pratique sur la Tamise. Le Chevalier parut d’abord un peu choqué de ce procedé ; mais revenu bientôt à lui-même, il dit, d’un ton & d’un air de Senateur, Dialog► Que, [138] s’il étoit Juge dans Middlesex, il feroit connoitre à ces Brutaux & à leurs semblables, que les Sujets de sa Majesté doivent être aussi peu injuriez sur l’Eau que sur Terre. ◀Dialog

Lors que nous fumes arrivez à Spring-Garden, qui est fort agréable dans cette Saison de l’Année, frapé de la bonne odeur des Allées & des Berceaux, de la Mélodie Harmonieuse des petits Oiseaux qui chantoient sur les Arbres, & de cette foule de Gens de loisir qui se promenoient à leur ombre, je ne pûs le regarder que comme une espèce de Paradis Mahometan. Le Chevalier me dit que cette vûe le faisoit souvenir d’un Bosquet proche de sa Maison à la Campagne, que son Chapelain avoit accoûtumé de nommer la Voliere des Rossignols. Dialog► Vous devez savoir, ajouta-t-il, qu’il n’y a rien qui plaise tant à un Amoureux que la voix- du Rossignol. Ah, Mr. le Spectateur, que j’ai passé de Nuits à me promener tout seul au clair de la Lune & à m’entretenir de ma cruelle Veuve au doux chant de cet aimable Oiseau ! ◀Dialog Là-dessus il lui échapa un profond soupir, & qu’il alloit tomber dans un accès de reverie, lors qu’une Demoiselle masquée vint, par derriere, lui donner un petit coup sur l’épaule, & lui demanda s’il vouloit aller boire avec elle une Bouteille d’Hydromel ? Surpris de cette familiarité peu atendue, & chagrin de ce qu’on venoit interrompre ses pensées sur la Veuve, le Chevalier lui répondit, qu’elle [139] étoit une Impudente, & qu’elle n’avoit qu’à se retirer.

A la fin de nôtre Promenade, nous bûmes un Verre de Biére douce de 5 Burton, & nous mangeames une tranche de Bœuf fumé. Ensuite le Chevalier apella un des Valets de la Maison, & lui ordonna de porter nos restes au Batelier qui n’avoit qu’une Jambe. Je m’aperçus que cet Estasier le regardoit de travers à l’ouïe de ce message, & qu’il alloit dire quelque sotise ; ce qui m’obligea de réïtérer les ordres du Chevalier d’un ton ferme & positif.

A notre sortie du Jardin, mon Ami crut que sa qualité d’un des Juges à la Campagne, en l’absence desquels on ne peut rien décider de grande importance, l’autorisoit à critiquer la débauche qui regne dans ce Lieu ; de sorte qu’il dit à l’Hôtesse, qui étoit assise dans son Reduit, Qu’il viendroit plus souvent à son Jardin, s’il y avoit plus de Rossignols, & moins de Coureuses. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2

I. ◀Ebene 1

1C’est-à dire, Jardin du Printems, parce qu’on commence à y aller dans cette Saison de l’Année. C’est un lieu de plaisance & de débauche, situé de l’autre côté de la Riviere dans le voisinage de Lambeth.

2C’est un des Endroits de la Ville, où il y a quantité de petits Bateaux, qui vont & viennent sur la Tamise.

3Ou Barge, espèce de Bateau à plusieurs rames, fort propre, couvert en partie, & vitré.

4Autre Cabaret, situé, de même que Spring-Gardens ; de l’autre côté de la Riviere, où l’on va se divertir au Printems & en Eté.

5Ville fameuse pour cette sorte de Biere, où l’on ne met point de Houblon.