Sugestão de citação: Anonym (Ed.): "XVI. Discours", em: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\016 (1720), S. 92-97, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1314 [consultado em: ].


Nível 1►

XVI. Discours

Citação/Divisa► Nam nos decebat cœtus celebrantes domum
Lugere, ubi esset aliquis in lucem editus,
Humanæ vitæ varia reputantes mala ;
At, qui labores morte finisset graves,
Hunc omnes amicos laude & lætitia exequi.
Eurip. ap. Cic. Troja Quast. L. I. c. 48.
Lors que nous repassons dans l’esprit tous les maux, auxquels la Vie des Hommes est sujette, nous croïons qu’il seroit de la bienséance de plaindre une Famille, où quelcun vient de naître ; au lieu que tout le monde devroit témoigner de la joie, lors que la Mort finit les pénibles travaux d’un de leurs Amis, & l’en féliciter lui-même. ◀Citação/Divisa

Nível 2► Puisque ma Feuille est une espèce de Gazette, qui contient les Nouvelles du Monde naturel, de même que les autres nous aprennent ce qui se passe dans le Monde politique, je vais inserer ici la Lettre suivante écrite de Paris à un Gentil-Homme François de distinction établi dans cette Ville, pour lui anoncer la Mort d’une véritable Heroïne, qu’on peut regarder comme un Modèle de Patience & de Générosité.

De Paris le 18. Avril 1712.

Metatextualidade► Lettre sur la Mort de Madame de Villacerf. ◀Metatextualidade

Nível 3► Carta/Carta ao editor► Monsieur,

« Il y a si long-tems que vous êtes éloigné de vôtre Patrie, que je me vois reduit à vous donner le Caractère de vos plus proches, avec la même exactitude que si vous ne les aviez jamais connus. Ce qui m’oblige de vous écrire aujourd’hui est la Mort de Madame de Villacerf, que je ne sai pas si un Homme de vôtre esprit philosophique apellera infortunée ou non, puis que les circonstances, qu’il y a euës, la rendent aussi digne de nos vœux que triste & lamentable. Elle avoit jouï toute sa vie d’une santé parfaite, honorée de tout le monde à cause de l’égalité de son Humeur & de l’élevation de son Esprit. Nível 4► Narração geral► Le 10. de ce Mois elle fut ataquée d’une Indisposition qui l’obligea de garder sa chambre ; mais, quoi que trop legere pour la retenir au Lit, elle étoit trop fâcheuse pour lui permettre de se tranquilliser dans un Fauteuil. Tout le monde sait à Paris, que Mr. Festeau, un des plus célèbres Chirurgiens de cette Ville, devint, il y a quelques années, éperdûment amoureux de cette Dame : Sa naissance la mettoit á l’abri de ses poursuites ; mais comme une Femme a toûjours quelque égard pour celui qui l’admire, sur l’avis que ses Medecins lui avoient donné de se faire tirer un peu de [94] sang, elle resolut à cette occasion d’apeller Mr. Festeau. Je m’y trouvai à l’heure qu’il s’y rendit, & j’eus la permission de ma Cousine de rester dans la Chambre. D’abord qu’il lui eut retroussé la manche de la Chemise au-dessus du coude, & qu’il vint à lui serrer le bras pour rendre la Veine plus visible, il changea de couleur & me parut saisi d’un tremblement universel. Je pris la liberté de le dire à ma Cousine avec quelque espèce de crainte : Elle en sourit, & ajouta qu’elle étoit persuadée que Mr. Festeau n’avoit aucune envie de lui faire du mal. Il sembla se rafermir, &, après avoir souri à son tour, il en vint à l’operation : Il n’eut pas plûtôt donné le coup qu’il s’écria qu’il étoit le plus malheureux de tous les Hommes, & qu’il avoit piqué une Artere au lieu de la Veine. Il n’est pas moins impossible d’exprimer l’abatement de l’Operateur que la tranquillité de la Patiente. Sans m’arrêter à de petites circonstances, je vous dirai qu’au bout de trois jours il fut jugé nécessaire de lui couper le bras. Bien loin d’en user avec Festeau d’une maniere qui auroit paru naturelle à tout autre Esprit que le sien, elle voulut qu’il assistât à toutes les Consultations qui se firent à cette occasion, & ne manqua jamais de lui demander s’il aprouvoit les mesures qu’on prenoit à son égard. Avant cette derniere Operation, elle fit dresser son [95] Testament, &, après avoir resté seule environ une demi-heure, elle ordonna aux Chirurgiens, du nombre desquels étoit le pauvre Festeau, d’executer ce qu’ils avoient résolu. Je ne me souviens pas de tous les termes de l’Art ; mais, dès qu’on lui eut amputé le bras, on découvrit quelques symptomes qui firent juger qu’elle ne vivroit pas vingt-quatre heures. Elle témoigna tant de courage & de grandeur d’ame au milieu de ses maux, que j’eus la curiosité de prendre garde à tout ce qui se passoit à mesure qu’elle aprochoit de sa fin, & d’écrire en abregé ce qu’elle dit à tous ceux qui l’environnoient. J’écrivis même mot pour mot le discours qu’elle tint à Mr. Festeau, & qui étoit conçu en ces termes :

Citação/Divisa► Monsieur, vous me causez une peine extrême par la douleur dont je vous vois accablé. Prête à sortir de ce Monde, je ne dois plus m’interésser à ce qui s’y passe : Je ne vous regarde point du tout comme une Personne, dont la méprise me coûte la vie ; mais plûtôt comme un Bienfaicteur, qui avance mon entrée dans une heureuse Immortalité. Voilà l’opinion que j’ai de cet accident ; mais le Monde où vous vivez en peut avoir des idées qui vous seroient préjudiciables : C’est pour cela même que j’ai eu Soin de vous dans mon Testament, & que je vous ai mis en état de n’avoir rien á craindre de leur malice. ◀Citação/Divisa

Pendant que cette illustre Dame lui [96] tenoit ce discours, Festeau ressembloit plûtôt à un homme qu’on condamne à la Mort, qu’à celui qui reçoit une Pension viagere. Madame De Villacerf vêcut jusques au lendemain à huit heures du soir ; & quoi qu’elle sentît des douleurs excessives, elles se posseda toûjours avec un calme & une patience à toute épreuve ; en sorte qu’on peut dire qu’elle ne mourut pas alors, mais qu’elle cessa de respirer. ◀Narração geral ◀Nível 4 Vous qui n’aviez pas le bonheur d’en être connu personnellement, n’avez qu’à vous réjouïr de ce que vous êtiez allié d’une Dame d’un si grand mérite ; mais nous, qui avons perdu sa conversation, ne pouvons pas si facilement renoncer à notre avantage en faveur du lien. Je suis &c. »

Paul Regnaud. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

A peine trouveroit on un plus bel Exemple d’un Esprit heroïque, que la maniere desintéressée dont cette Dame jugea de son malheur. L’amour naturel qu’on a pour la Vie ne l’empêcha pas d’avoir égard à l’accablement de cet Homme infortuné, dont la passion extraordinaire, qu’il avoit pour elle, faisoit tout le crime. Si l’on avoit une Relation exacte de la Vie de cette Dame, qui l’a couronnée par une fin si glorieuse, cela ne pourroit être que fort utile à la Société. Une pareille Grandeur d’ame ne s’aquiert pas à l’article de la Mort, & il [97] n’y a nul doute qu’une pratique constante de tout ce qui est digne de nos éloges ne la rendît capable d’envisager la Mort, non pas comme l’anéantissement, mais comme le chemin à la perfection de son Etre.

T. ◀Nível 2 ◀Nível 1