Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXVIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\068 (1716), S. 434-440, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1222 [aufgerufen am: ].


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LXVIII. Discours

Zitat/Motto► Inclusam Danaën turris ahenea,
Robustæque fores, et vigilum canum
Tristes excubiæ, munierant satis
Nocturnis ab adulteris :
Si non Acrisium, virginis abditæ
Custodem pavidum, Jupiter & Venus
Risissent, fore enim tutum iter & patens
Conversio in pretium Deo.

Hor. L. iii. Ode xvi. r.

Acrisius avoit assez bien pris ses précautions, pour rendre Danaë sa Fille inaccessible à ses prétendans. Une Tour d’airain où elle étoit enfermée ; des portes de fer ; de terribles Chiens (surveillans incommodes) qui en défendoient l’entrée, étoient un rempart impénétrable à leurs efforts ; mais Jupiter & Venus rirent de la précaution de ce Pere défiant, sûrs que si le Dieu se changeoit en Or, il entreroit aisément chez cette Fille si bien gardée. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Lettre d’un Pere sur l’embarras où il [435] est pour garder sa Fille. ◀Metatextualität

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

Metatextualität► « La 1 Lettre de votre Correspondant sur les Quêteurs des riches Héritiers & le Discours que vous y avez joint, m’ont encouragé à vous exposer [435] le Cas où je me trouve, & vous verrez par là que c’est un Grief dont tout le monde se plaint à la Ville & à la Campagne. ◀Metatextualität

Je suis un Gentilhomme Campagnard, qui ai cinq ou six mille Pieces de revenu annuel. Mon malheur est avec tout cela d’avoir un très-beau Parc & une Fille unique ; ce qui m’expose d’une telle maniere aux Voleurs de Bêtes fauves, & aux attaques des Fats, que depuis quatre années consécutives je n’ai presque pas joui d’un moment de relâche. Forcé à faire le guet chez moi, avec la même exactitude que le Gouverneur d’une Place frontiere, je me vois dans un état de guerre continuel. Il est vrai que j’ai assez bien pourvû à la sûreté de mon Parc, où j’ai mes quatre Gardes-chasse, qui sont gauchers, & qui sçavent jouer du bâton à deux bouts mieux qu’aucun autre Homme de la Campagne. Pour garantir ma Maison de toute insulte, outre une 2 Bande de Matrones Pensionnaires & une vieille Fille de mes Parentes, qui sont toûjours en faction, j’ai plusieurs Mousquetons bien chargez, & de bonnes Trapes fixées en divers endroits de mon Jardin, dont je ne manque pas d’avertir souvent tout le voi-[436]sinage ; avec tout cela, malgré cette vigilance, il m’arrive de tems en tems de voir quelque insolent Faquin passer à cheval sous mes fenêtres, aussi bien mis que s’il alloit à un Bal, pour venir sans doute reconnoître la Place, comme il me semble que vous l’exprimez. D’ailleurs, informé que c’est la maniere des Cavaliers Espagnols d’attaquer ainsi leur Maitresse à cheval, je me tiens en garde de ce côté-là ; & c’est ce qui m’a obligé de donner à ma Fille un apartement sur le derriere de la Maison ; au lieu de celui qu’elle avoit sur le grand chemin. Pour couper court ; A quoi peut-on se résoudre après tout ? Dans la derniere élection des Membres du Parlement, je n’osai me faire élire, de crainte qu’il ne m’arrivât quelque malheur, si je venois à quitter mon Poste. Je souhaiterois donc que vous encourageassiez un Projet que j’ai formé, & dont j’ai écrit à quelques-uns de mes Amis : c’est-à-dire, qu’on devroit passer un Acte pour mettre nos Filles en sûreté, comme il y en a déja pour empêcher le vol de nos Bêtes fauves ; & qu’un honnête Homme, zèlé pour le bien du Puplic, devroit proposer un Billet qui tendît à mieux conserver le Gibier Féminin. Je suis, &c. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 [437]

Metatextualität► Lettre sur les Envies des Femmes grosses. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mon cher Monsieur,

« Je vous conjure de publier incessamment cette Lettre, & de nous aprendre au plûtôt qu’elles sont les causes naturelles des Envies qu’on voit dans les Femmes grosses ; ou bien délivrez-moi de la crainte où je suis que la mienne n’accouche tôt ou tard de quelque Monstre aussi affreux qu’aucun qui ait paru dans le monde ; puis qu’on dit que les Enfans portent les marques de ce que les Meres ont souhaité avec ardeur, & qu’ils en ont quelque ressemblance. Il y a plus de six ans que je suis marié, j’ai eu quatre Enfans & ma Femme est enceinte du cinquiéme. La dépense, où elle m’a engagé pour satisfaire les Enfans dans le tems qu’elle étoit grosse d’eux, n’auroit pas seulement servi à payer au large tous les frais de ses couches, mais aussi ceux de leur éducation ; du moins, pour les deux premieres années, ses Envies étoient si extravagantes, qu’elles ne se bornoient pas à tout ce qui se mange ou se boit, mais rouloient sur les Equipages, les Ameublemens & autres Vanitez de cette nature. Pour ne pas vous fatiguer de tout cet ennuyeux détail, je ne vous en donnerai qu’un petit échantillon : Allgemeine Erzählung► Lors qu’elle étoit enceinte de mon Fils aîné Thomas, elle revint un jour à la maison, prête à tomber en défaillance, sur ce qu’elle avoit rendu visite [438] à une de ses Parentes, dont le Mari venoit de lui faire present d’un Carrosse coupé, & de deux Chevaux joliment enharnachez ; elle m’assûra d’ailleurs, qu’il lui étoit impossible de respirer au-delà d’une semaine, à moins qu’au bout de ce terme elle ne prit l’air dans un Carrosse de a la même façon destiné à son usage : Plûtôt que de perdre un Héritier, je ne balançai pas à lui accorder sa demande. Ensuite, elle eut envie de changer tous les meubles de sa plus belle Chambre, sous prétexte que l’Enfant risqueroit d’être marqué de quelqu’une des horribles figures qu’il y avoit dans la vieille Tenture. Il falut donc mander le Tapissier, & pour le coup on satisfit à son Envie. Lors qu’elle portoit Marion dans le sein, elle eut en tête un nouveau service de Vaisselle d’argent, & autant de Porcelaine qu’il en faudroit pour garnir la Boutique d’un Vendeur de cette Marchandise : Je la satisfis encore à ces deux égards, pour éviter d’être le Pere de quelque Pagode à l’Indienne. Jusques-ici je trouvai que ses demandes croissoient à mesure qu’elle obtenoit les précédentes ; & si elle eut continué sur le même pié, ma ruine étoit infaillible : Mais par bonheur, dans sa troisiéme grossesse, qui nous donna Margoton, l’effort de sa Fantaisie se rabatit sur un coin de Pâté de venaison, la fit mettre une fois à genoux, pour arracher avec les dents les oreilles d’un Cochon de lait [439] qui tournoit à la broche. J’aimois bien mieux satisfaire les envies de son Palais, que celles de sa Vanité ; & on lui servoit de bon cœur tantôt une Aloüette, une Perdrix, une Caille, ou un Ortolan ; je ne me plaindrois pas même s’il faloit qu’elle se nourrit de Poids verds dans le Mois d’Avril, ou de Cerises dans celui de May. Le bon est que, dans sa grossesse, elle est redevenue Enfant, & qu’elle s’amuse à manger de la Craye, sous prétexte que la peau de son Fruit en sera plus blanche : Ce n’est pas tout, elle veut, à quelque prix que ce soit, que j’en mange avec elle, afin qu’il n’ait aucune ombre de mon teint brun, mais je n’ai pû lui complaire en ceci. D’un autre côté, hier matin, lorsque nous revenions de la Campagne, elle vit une troupe de Corneilles, qui déjeunoient de si bon apetit sur une Charogne, qu’elle eut une envie insurmontable d’en avoir sa part, & qu’elle pria le Cocher d’en aller couper un morceau, comme si c’étoit pour lui-même ; ce qu’il fit, & d’abord qu’elle fut arrivée au Logis, elle donna dessus avec tant d’ardeur, qu’elle sembloit, plûtôt le dévorer que le manger. ◀Allgemeine Erzählung Je ne saurois deviner à quoi sa premiere saillie aboutira ; mais s’il y a moyen de bannir par la Raison, l’extravagance bizarre de ses Fantaisies musquées, ne tardez pas, s’il vous plaît, à nous accorder votre secours. C’est un Grief plus rude à suporter que celui [440] des Epingles pour les Dames ; & il me semble, que, dans tout Contrat de Mariage, on devroit insérer une Clause, qui rendit le Pere Garant pour les Envies de sa Fille. J’attendrai avec impatience vos bons avis là-dessus. Marquez-moi d’ailleurs, si vous croyez que l’Enfant, qui nous doit naître, aime autant un jour les Chevaux, que Marion est ardente après la Porcelaine. Je suis, &c. »

T. T.B. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Voyez ci-dessus DISC. lx.

2L’Auteur fait ici allusion à une Compagnie de quarante Gentilshommes, qui servent à la Cour du Roi d’Angleterre, & qu’on apelle la Bande des Gentilshommes Pensionnaires.