Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXIV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\064 (1716), S. 405-413, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1218 [aufgerufen am: ].


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LXIV. Discours

Zitat/Motto► Nos numerus sumus, & fruges consumere nati,
Sponsi Penelopæ, nebulones, Alcinoique,
In cute curandâ plus æquo operata Juventus :
Cui pulchrum fuit in medios dormire dies, &
Ad strepitum citharæ cessatum ducere curam.

Hor. L. i. Epist. ii. 27.

Nous autres Fripons, nous ne sommes bons à rien dans ce monde ; qu’à boire, qu’à manger, & faire le sot personnage de ces Débauchez, Amans de Pénélope : nous ressemblons aux Sujets d’Alcinoüs, ces jeunes Gens débordez : toute notre gloire & notre occupation est de faire bonne chére, d’être au lit jusqu’à midi, & de charmer, par des Concerts, les chagrins qui nous dévorent. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Du mauvais usage que la plûpart des hommes font de leur Tems. ◀Metatextualität

Ebene 2► Auguste, peu d’heures avant sa mort, demanda à ses Amis qui étoient auprès de lui, s’ils croyoient qu’il eût bien joué son rôle dans ce Monde ; & sur ce qu’ils lui donnerent une réponse digne de son mérite extraordinaire, il ajoûta : Permettez donc que je me retire avec vos aplaudissemens ; Expression usitée par les Acteurs Romains, lors qu’ils se retiroient à la fin d’une Piéce, qu’ils venoient de [406] jouer sur le Théâtre. Je souhaiterois que chacun, pendant qu’il est en pleine santé, voulut réfléchir sur la nature du Rôle où il se trouve engagé, & sur l’idée qu’il laissera de sa conduite à ceux qui viendront après lui. Je voudrois qu’il examinât si ce Rôle méritoit qu’il vint dans le Monde pour s’en acquitter ; s’il est conforme à la dignité d’un Etre raisonnable ; en un mot, s’il est aprouvé dans cette vie, & s’il lui sera avantageux dans le siécle à venir. Que le Parasite, ou le Goguenard, le Satirique, ou le bon Vivant, considere lui-même quel bien il lui reviendra, si l’on dit de lui, après que son corps sera mis dans le tombeau, & que son Ame jouira d’un nouvel état, que jamais Homme de la Grande-Bretagne n’a été plus friand, qu’il avoit un talent merveilleux pour tourner ses Amis en ridicule, qu’aucun ne le surpassoit à lâcher un trait malin, ou qu’il ne se couchoit jamais sans avoir expédié sa troisiéme Bouteille. C’est à quoi se terminent avec tout cela, nos Oraisons funébres les plus communes, & les Eloges qu’on donne à ceux qui ont eu de la réputation, & qui ont fait quelque figure dans le Monde.

Mais si l’on jette les yeux sur le gros de notre Espece, on verra que la plûpart ne méritent pas qu’on se souvienne d’eux un moment après leur mort. Ils ne laissent aucune trace de leur existence, & on les oublie comme s’ils n’avoient jamais [407] été. Ils ne sont regrettez ni des Pauvres ni des Riches, & les Savans ne s’amusent pas à célébrer leur mémoire. La Societé n’en avoit pas besoin, & les Particuliers pouvoient s’en passer facilement. Leurs actions ne sont d’aucun usage pour le Genre Humain, & des Créatures d’un ordre très-inférieur auroient pu s’en acquitter tout de même. 1 Un habile Ecrivain François s’exprime quelque part de cette maniere ; Zitat/Motto► « J’ai vû souvent, dit-il, de la fenêtre de ma Chambre, deux nobles Créatures, l’une & l’autre capables de tourner les yeux vers le Ciel, & douées de la Raison : J’ai vû ces deux Etres intelligens occupez depuis le matin jusqu’au soir à faire glisser deux pierres l’une sur l’autre, c’est-à-dire, pour me servir de la Phrase commune, à polir du marbre. » ◀Zitat/Motto

Mon Ami le Chevalier Freeport nous entretint hier au soir, à la Coterie d’un brave Citoyen, mort depuis peu de jours. Cet honnête Homme, qui se croyoit [408] de plus grande conséquence, qu’il ne le paroissoit aux yeux des autres, avoit tenu, depuis quelques années, un Journal de sa Vie. Mr. le Chevalier nous en fit voir une semaine, où il y a divers Articles, qui ont tant de raport avec les actions machinales ou inutiles, dont je viens de parler, que j’en donnerai ici une Copie exacte à mes Lecteurs, après les avoir instruits que le Défunt, élevé dès sa jeunesse au Négoce, & ne se trouvant pas propre pour les affaires, y renonça dans la suite, & vivoit depuis bien des années, sur un petit revenu.

Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Lundy, à 8. heures du matin, Je me suis habillé, & j’ai fait un tour dans la Sale à manger.

A 9. heures d0, J’ai attaché mes jarretieres, & lavé les mains.

A 10. & à 11. heures & à midi, J’ai fumé trois Pipes de Tabac de Virginie. J’ai lû le Suplément & la Gazette journaliere. Les affaires vont mal dans le Nord. L’opinion de Mr. Nisbi là-dessus.

A 1. heure après midi, J’ai grondé Rodolphe pour avoir égaré ma Tabatiere.

A 2. heures, Je me suis mis à table pour dîner. NB. Trop de Raisins secs au Boudin, & point de Sain-doux.

Depuis 3. heures jusqu’à 4. J’ai fait la méridienne.

Depuis 4. jusqu’à 6. Je me suis promené hors la Ville dans les Prairies. Le Vent Sud-Sud-Est. [409]

Depuis 6. jusqu’à 10. J’ai été à la Coterie. L’opinion de Mr. Nisby sur la Paix.

A 10. heures, Je me suis couché, & j’ai dormi profondément.

Mardi, jour de Fête, à 8. heures, Je me suis levé à mon ordinaire.

A 9. heures, je me suis lavé les mains & le visage, fait la barbe, & j’ai pris mes Souliers à double semelle.

A 10.11. & à midi, J’ai fait un tour de promenade à Islngton <sic>.

A 1. heure, Bû Chopine de Biere exquise chez la bonne Femme Cob.

Entre 2. & 3. Revenu de ma promenade, j’ai mangé à dîner d’un Cuissot de Veau & du Lard. NB. Les Brocoli y manquoient.

A 3. heures, J’ai fait la méridienne, à mon ordinaire.

Depuis 4. jusqu’à 6 J’ai été au Caffé. Lû les Nouvelles. Bû une Tasse de Caffé mêlé avec du Thé. Le grand Vizir étranglé.

Depuis 6. Jusqu’â 10. J’ai été à la Coterie. Discours de Mr. Nisby sur le grand Turc.

A 10. heures. Rêvé sur le grand Vizir. Sommeil fort interrompu.

Mercredi, à 8. heures du matin. L’ardillon d’une Boucle de mes Souliers s’est cassé. Lavé les mains & non pas le visage.

A 9. heures. Payé le Compte du Bou-[410]cher. NB. Qu’il doit faire bon pour la derniere Elanche.

A 10. & 11. Au Caffé. Les brouilleries augmentent dans le Nord. Un Etranger coiffé d’une Perruque noire m’a demandé comment alloient les Fonds publics.

Depuis midi jusqu’à 1. heure. Promené hors de la Ville. Le Vent au Sud.

Depuis 1. heure jusqu’à 2. Fumé une Pipe & demie.

A 2. heures, Dîné selon ma coûtume. J’ai eu bon apetit.

A 3. Mon sommeil interrompu par la chute d’un Plat d’Etain. NB. La Cuisiniere devenue amoureuse néglige beaucoup son devoir.

Depuis 4. jusqu’à 6. Au Caffé. Les Avis de Smyrne portent que le grand Vizir fut d’abord étranglé & ensuite décapité.

A 6. heures du soir, J’ai été demie-heure à la Coterie, avant que personne s’y rendit. Mr. Nisby croit que le grand Vizir ne fut pas étranglé le 6. de ce Mois.

A 10. heures, au Lit. Dormi sans m’éveiller jusqu’à 9. heures du matin.

Jeudi, à 9. heures. Resté à la Maison jusqu’à 2. heures après midi, pour y attendre le Chevalier Timothée ***. Il ne m’a point aporté les intérêts de mon Fonds perdu, comme il me l’avoit promis.

A 2. heures après midi. Je me suis mis à table pour dîner. Fort peu d’apétit. La Biere s’est aigrie. Bœuf trop salé. [411]

A 3. Je n’ai pû reposer à mon ordinaire.

A 4. & à 5. Donné un souflet à Rodolphe. Chassé ma Cuisiniere. Envoyé un message au Chevalier Timothée ***. NB. Je n’ai pas été ce soir à la Coterie. Je me suis couché à 9. heures.

Vendredi, Passé la matinée à méditer sur la négligence du Chevalier Timothée ***, qui s’est rendu au Logis un quart d’heure avant midi.

A midi. Acheté une Pomme toute neuve pour ma Cane, & un ardillon pour ma Boucle. Bû un Verre de Biere d’absinthe pour recouvrer mon apétit.

A 2. & à 3. Dîné & bien reposé.

Depuis 4. jusqu’à 6. J’ai été Caffé. J’y ai trouvé Mr. Nisby. Fumé plusieurs Pipes. Mr. Nisby croit que le Caffe avec du Sucre ne vaut rien pour la tête.

A 6. heures, Je me rendis à la Coterie en qualité de Boursier. J’y demeurai fort tard.

A minuit. Après que je fus au Lit, il me sembla dans mes rêves, que je bûvois de la petite Biere avec le grand Vizir.

Samedi., Eveillé à onze heures, j’allai faire un tour de Promenade dans les Prez, Le Vent au Nord-Est.

A midi, Je fus surpris par une grosse Pluie.

A 1. heure après midi, Revenu à la Maison, je fis secher mes Habits. [412]

A 2. heures, Mr Nisby dîna avec moi. Le premier service fut un Plat d’Os de Bœuf pleins de moële, & le second un Groin de Cochon, avec une Bouteille de Vin de chez Brooks & Hellier.

A 3. heures. Je fis une trop longue Méridienne.

A 6. Je me rendis à la Coterie. Peu s’en fallut que je ne tombasse dans un Egoût. Le Grand Vizir est mort à coup sûr. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3

Je ne doute pas que mes Lecteurs ne soient fort surpris de voir que notre Journaliste eut tant de soin d’une Vie chargée de si petits incidens, & qu’il eut fait si peu de progrès dans la Vertu ; avec tout cela, s’ils examinent la conduite de ceux qu’ils voyent tous les jours, ils trouveront que la plus grande partie de leur tems se passe à manger, à boire & à dormir. Je ne croi pas qu’un Homme perde son tems, s’il n’est employé dans les affaires publiques, ou engagé dans une suite continuelle d’actions glorieuses. Bien loin de là, je trouve qu’il est souvent plus utile de pratiquer la Vertu en secret & à petit bruit, que d’en venir à des actions d’éclat, & de s’attirer les regards de tout le monde. On peut se rendre plus sage & plus habile par differentes manieres de s’exercer, à l’insçu au Public ; on peut aussi mériter des Eloges, sans fracas & sans ostentation. Je voudrois enfin que chacun [413] de mes Lecteurs se donnât la peine de tenir un Journal exact de sa vie durant l’espace d’une semaine. Ce Registre leur aprendroit le véritable état où ils se trouvent, & leur serviroit de Guide pour l’avenir. Ils rectifieroient un jour ce qu’ils auroient omis un autre, & ils peseroient mieux toutes ces actions qui leur paroissent indifferentes, qu’ils oublient d’abord, & dont, malgré tout cela, ils seront obligez de rendre compte.

L. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Je ne sai si mon Auteur Anglois veut parler de Mr. de la Bruiere ; mais dans les Caracteres ou les mœurs de ce siécle, pag. 451. de l’Edition de Bruxelles en 1693. il y a un trait, qui aproche beaucoup de celui-ci, & qui est conçu en ces termes : Il y a des Créatures de Dieu qu’on apelle des Hommes, qui ont une ame qui est Esprit, dont toute la vie est occupée, & toute l’attention est réunie à scier du marbre ; cela est bien simple, c’est bien peu de chose : Il y en a d’autres qui s’en étonnent, mais qui sont entierement inutiles, & qui passent le jour à ne rien faire ; c’est encore moins que de scier du marbre.