Sugestão de citação: Anonym (Ed.): "LIX. Discours", em: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\059 (1716), S. 369-376, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1213 [consultado em: ].


Nível 1►

LIX. Discours

Citação/Divisa► Versate diu, quid ferre recusent,
Quid valeant humeri.

Hor. A.P. vs. 39.

Consultez long-temps vos forces, avant que de rien entreprendre. ◀Citação/Divisa

Nível 2► Metatextualidade► J’ai lû, avec tant de plaisir, la Lettre suivante, qu’elle ne sera pas désagréable au Public, à ce que je croi. ◀Metatextualidade

Metatextualidade► Lettre sur l’Education de la Jeunesse. ◀Metatextualidade

Nível 3► Carta/Carta ao editor► Monsieur,

Metatextualidade► « Quoiqu’il n’y ait aucun de vos Lecteurs, si je ne me trompe, qui admire plus que moi le relief que vous savez donner aux moindres Bagatelles que vous maniez ; avec tout cela, puisque vos Discours forment déja des Volumes, & que, selon toutes les aparences, il passeront jusques à la Postérité la plus éloignée, il me semble que tous les sujets, dont ils traitent, où le Bonheur du Genre Humain est intéressé, devroient être aprofondis & avoir une juste étenduë. ◀Metatextualidade [370] 1 Il y a long-tems que vous aviez promis d’examiner les défauts qui se trouvent d’ordinaire dans l’Education de nos Garçons ; mais après avoir attendu en vain jusques-ici, je me suis impatienté, & je me hazarde à vous envoyer mes pensées là-dessus.

Je me souviens que Péricles, dans le fameux Discours qu’il prononça aux Funerailles de cette Jeunesse Athenienne qui avoit resté dans la malheureuse Expédition contre les Samiens, a une pensée fort remarquable, & que plusieurs des anciens Critiques ont admirée : Citação/Divisa► Il y dit que la perte de la République dans cette occasion ressembloit à celle que feroit l’Année, si elle venoit à perdre le Printems. ◀Citação/Divisa Le préjudice que le Public souffre, par la mauvaise Education des Enfans, est un Mal de la même nature, en ce qu’elle apauvrit en quelque maniere, la Postérité, & fraude la Patrie du service qu’elle retireroit de ces Personnes, si elles étoient bien élevées. Il y en a plusieurs sans doute qu’une bonne Education rendroit capables de distinguer dans les divers Emplois de la Vie.

J’ai vû un Livre écrit par Jean-Huarte, Médecin Espagnol, & qui est intitulé Examen des Esprits pour les Sciences2 . Il y pose [371] comme un de ses principes fondamentaux, qu’il n’y a que la Nature seule qui puisse donner les qualitez propres à réussir dans les Sciences ou dans les Arts ; & que, sans cette heureuse disposition pour un certain Art ou une certaine Science, un Homme a beau s’y apliquer de toutes ses forces, & avoir les plus habiles Maîtres, il n’en viendra jamais à bout. L’exemple, qu’il en allégue, est celui de Marc, Fils de l’Orateur Romain.

Exemplum► Afin qu’il se perfectionnât dans la Science, à laquelle il le destinoit, Ciceron l’envoya étudier à Athénes, la plus célébre Académie qu’il y eût alors au Monde, & où les meilleurs Esprits des Nations les plus polies, qui s’y rendoient en foule, ne pouvoient que fournir à ce jeune Homme quantité de beaux Exemples, & des Incidens capables d’avancer peu à peu ses Etudes : Il le mit sous la conduite de Cratippe, un des plus grands Philosophes de son tems ; &, comme si les Livres qui étoient alors écrits n’eussent pas suffi pour son usage, il en écrivit lui-même quelques-uns en sa faveur : Malgré tout cela l’Histoire nous dit que Marc fut un vrai Sot, & que ni les régles de l’Eloquence, ni les préceptes de la Philosophie, ni ses propres efforts, ni la Conversation la plus rafinée d’Athénes, ne purent jamais vaincre la Nature, qui avoit été prodigue envers son Pere, mais chiche à son égard. ◀Exemplum C’est pourquoi mon [372] Auteur Espagnol voudroit qu’il y eut des Juges habiles nommez par l’Etat, qui, après avoir examiné le génie de chaque Garçon, le destinassent à l’Emploi qui s’accorderoit le mieux avec ses talens naturels.

Platon, dans un de ses Dialogues, nous dit que Socrate, qui étoit Fils d’une Sage-Femme, disoit à ses Amis, que comme sa Mere, quoique très-habile dans son Métier, ne pouvoit pas accoucher une Femme, à moins qu’elle ne fût enceinte ; il ne sauroit ainsi lui-même tirer d’un Esprit la Connoissance, que la Nature n’y avoit pas semée. C’est pour cela que sa maniere de philosopher & d’instruire ses Ecoliers se bornoit à leur faire diverses demandes, & à les aider par ce moyen à mettre au jour les pensées qu’ils avoient dans l’Esprit, dont il se disoit l’Accoucheur.

Pour revenir à mon Docteur Espagnol, à mesure qu’il aprofondit son Sujet, & qu’il porte ses spéculations plus loin, il pose en fait que chaque Génie a une Science qui lui est proportionnée, & dans laquelle seule il peut se rendre habile. A l’égard de ces Génies, qui semblent être formez pour toutes les Sciences, il les traite d’Ouvrages simplement ébauchez, que la Nature a produit à la hâte.

On voit peu d’Esprits sans doute qui ne soient capables de quelque Art ou de [373] quelque Science. Ils ont tous un certain desir d’aprendre & d’augmenter leurs lumieres, qui se peut fortifier par une bonne Méthode.

Exemplum► Tout le monde sait l’histoire de Clavius : Après qu’il fut entré dans un Colége de Jesuites, on essaia de quoi il seroit capable, & l’on étoit sur le point de le renvoyer comme un Esprit lourd & pesant, lors qu’un des Peres s’avisa de l’éprouver sur la Géometrie, pour laquelle il parut avoir de si beaux talens, qu’il devint un des plus habiles Mathématiciens de son siécle. On croit d’ailleurs que la sagacité de ces Peres à découvrir les differentes inclinations de leurs jeunes Ecoliers, n’a pas peu contribué à la figure qu’ils font aujourd’hui dans le Monde. ◀Exemplum

Quelle difference n’y a-t-il pas entre cette maniere d’élever la Jeunesse & celle qui régne dans notre Isle, où l’on voit souvent quarante ou cinquantes jeunes Garçons rangez dans la même Classe, occupez à lire les mêmes Auteurs, & à fournir les mêmes tâches, quoi qu’ils different pour l’âge, l’humeur & l’esprit ? Quelque sorte de Génie que la Nature leur ait donné, il faut qu’ils deviennent tous également Poëtes, Historiens & Orateurs. Ils sont tous obligez d’avoir la même capacité, de produire le même nombre de Vers, & de fournir le même Discours en Pro-[374]se. Chaque Ecolier doit avoir la mémoire aussi bonne que le premier de la Classe. En un mot, au lieu d’accommoder les études à la portée de chacun, on voudroit qu’un jeune Garçon accommodât son génie a ses études. Il est vrai que la faute ne vient pas toûjours du Précepteur, mais plûtôt du Pere de l’Etudiant, qui ne sauroit s’imaginer que son Fils n’est pas capable des mêmes choses que ceux de ses Voisins, & qu’il n’est pas en son pouvoir d’en faire tout ce qu’il lui plaît.

Si notre Siécle mérite en quelque chose de plus grands éloges que les autres, on peut dire que c’est à l’égard du généreux soin que diverses Personnes charitables ont pris pour l’éducation des pauvres Enfans ; mais puisque la tendresse mal réglée d’un Pere ne sauroit avoir lieu dans ces Ecoles de Charité, ceux qui en sont les Directeurs les rendroient plus avantageuses au Public, s’ils y observoient la Méthode que j’ai insinuée jusques-ci. Par un examen sérieux de la difference de leurs talens, ils pourroient les distinguer en certaines Classes, & donner à chacun le Métier ou la Profession qui conviendroit à son génie.

Quel besoin n’auroit-on pas de ce Réglement pour les trois grandes Professions destinées aux Gens de Lettres !

Le Docteur 3 South se plaint dans quel-[375]qu’un de ses Ouvrages, de ce qu’il y a des Personnes qui se destinent au Ministere de l’Evangile, sans avoir aucune des qualitez requises pour cette sacrée Fonction, & il dit qu’on y voit échouer bien des Gens, qui auroient pû rendre de très-bons services à leur Patrie, s’ils s’étoient bornez à mener la Charue.

Il y a bien des Avocats, qu’on ne voit pas souvent au Barreau, & qu’on ne consulte guére chez eux, qui auroient pû devenir d’excélens Bâteliers & se distinguer à 4 l’Escalier du Temple.

J’ai connu un Coupeur de cors, qui auroit pû réussir dans la Médecine, & même s’y rendre fort habile, si on l’eût instruit de bonne heure dans cette Science.

Mais pour venir à des Exemples d’un ordre inférieur, ne voit-on pas tous les jours nos rues pleines de Charretiers douez d’une grande sagacité & de Politiques en Livrée ? Nous avons bien des Tailleurs hauts de si pieds, & nous rencontrons plusieurs Barbiers à larges épaules, pendant que nous voyons peut-être en même-tems chanceler, sous le poids d’un Fardeau, un Crocheteur d’une coudée, qui auroit pû manier une Aiguille ou un Rasoir avec beaucoup d’adresse, fort à son aise & à l’avantage du Public.

Quoique les Lacédemoniens observassent [376] à peu près, dans l’Education de leurs Enfans, la Méthode que je voudrois inculquer, il me semble qu’ils la poussoient au delà des justes bornes ; puis qu’ils ne souffroient pas qu’un Pere élevât ses Enfans de la maniere qu’il l’entendoit. Dès l’âge de sept ans, on les enrôloit dans certaines Compagnies, où ils étoient exercez aux dépens du Public. Les Vieillards jugeoient de leur capacité ; on semoit de la jalousie entr’eux, & on les engageoit à se défier les uns les autres, pour découvrir leurs differentes inclinations, & en disposer ainsi pour le service de la République, sans avoir aucun égard à leur naissance. A la faveur de cet usage, Lacedemone eût bien-tôt l’empire de toute la Grece, & se rendit célébre dans tout le Monde pour son Gouvernement civil & sa Discipline Militaire.

Si cette Lettre ne vous paroît pas indigne de tenir une place au rang de vos Discours, peut-être que je me hazarderai à vous fatiguer de quelques autres de mes pensées sur le même sujet. Je suis, &c. » ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3

X. ◀Nível 2 ◀Nível 1

1Voyez Tome i. Disc. liii. p. 349.

2Il a été traduit en François par Ch. Vion de Dalibrai, & imprimé à Paris en 1650.

3Il étoit Chanoine dans l’Abbaye de Westminster & il est mort depuis quelques années.

4C’est un des endroits de Londres, où se tiennent les petits Bâteaux qui vont & viennent sur la Tamise.