Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "V. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\005 (1716), S. 30-36, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1158 [aufgerufen am: ].


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V. Discours

Zitat/Motto► Nescio quomodo inhaeret in mentibus quasi sæ
culorum quoddam augurium futurorum ; id
que in maximis ingeniis altissimisque animis
& existit maximè et apparet facillimè.

Cic. Tusc. Quæst. L. I. c. 15.

Je ne sai d’où cela vient, mais la plupart des Hommes ont quelque pressentiment d’une Vie à venir ; & cette idée se manifeste sur tout, & paroît avec plus d’éclat dans les Génies les plus élevez & les plus profonds. ◀Zitat/Motto

Metatextualität►

Sur l’immortalité de l’Ame & une Vie à venir.

◀Metatextualität

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« Je suis très-persuadé qu’une des meilleures forces d’où naissent les actions nobles & généreuses, est la juste & noble idée qu’on a de soi-même. Tout Homme, qui entretient une idée basse & indigne de sa Nature, ne peut jamais s’élever au dessus du rang où il s’est mis. S’il regarde son Etre comme borné par le terme incertain d’un petit nombre d’années, ses vues se renfermeront dans les bornes étroites qu’il donne à son existence. Comment peut-il s’élever à quelque chose de grand & de noble, s’il croît qu’après avoir joué un rôle fort court sur le Théâtre de ce Monde, il vient à s’étein-[31]dre pour jamais, & qu’il n’aura plus aucun sentiment de ce qu’il a fait dans cette Vie.

C’est pour cela même que, selon moi, si on ne sauroit méditer trop souvent sur l’Immortalité de l’Ame. Il n’y a point d’exercice plus capable de perfectionner l’Esprit Humain que de réfléchir souvent sur les priviléges, & les avantages dont il jouit ; ni aucun moyen plus propre à nous inspirer une Ambition, qui s’éleve au dessus de tous les objets qui nous environnent, que de nous regarder comme des Etres destinez pour l’Eternité.

D’ailleurs n’est-ce pas une grande satisfaction de voir que les Hommes les plus sages & les plus grands Génies de toutes les Nations & de tous les siécles ont aspiré, d’une commune voix, à l’Immortalité comme à leur droit naturel qu’elle nous est confirmée par une Révélation expresse ? D’un autre côté, nous venons à réfléchir sur nous-mêmes, nous y trouvons une espece de sentiment intérieur qui s’accorde très-bien avec les preuves que nous avons pour l’immortalité de nos Ames.

Metatextualität► 1 Celle que vous en avez donnée, Monsieur, & que vous fondez sur le desir ardent qu’à l’Esprit Humain pour étendre ses connoissances & se perfection-[32]ner lui-même, dont il ne sauroit venir à bout dans l’espace d’une vie si courte, quoique la même durée, ou une moindre suffise aux Créatures d’un ordre inférieur pour arriver à leur perfection : cette preuve, dis-je, de notre Immortalité s, me paroït assez vraisemblable. Mais on peut en tirer une autre de la même espece de l’attachement que nous avons pour la Vie, & des nouveaux projets que nous formons dans chacun de ses périodes. Zitat/Motto► Quoique nous reconnoissions tons que la Vie est courte en elle-même, 2 comme vous l’avez remarqué dans un de vos Discours, ses différens périodes nous paroissent longs & ennuyeux. Nous envisageons l’Avenir comme un Pays rempli de vastes deserts, que nous voudrions traverser à la hâte, pour arriver à ces prétendus Etablissemens fixes, & à ces Point imaginaires de Repos, qui s’y trouvent dispersez d’un côté & d’autre. ◀Zitat/Motto ◀Metatextualität

Voyons donc quelle est notre conduite lorsque nous sommes parvenus à ces Points imaginaires de Repos. Nous y arrêtons-nous en effet, & y jouissons-nous en paix de l’Etablissement que nous avons obtenu ? Ou plûtôt ne transportons-nous pas plus loin les bornes que nous nous étions prescrites, & ne marquons-nous pas de nouveaux Points de relâche, vers lesquels nous courons avec la même ar-[33]deur, & qui disparoissent aussi vîte que nous les atteignons ? Il en est à peu près de nous à cet égard comme de ceux qui voyagent sur les Alpes, & qui s’imaginent que le sommet de la prochaine Montagne doit terminer leur course, parce qu’il borgne leur vue, mais ils n’y sont pas plutôt arrivez, qu’ils découvrent de nouvelles Montagnes au- delà, & qu’ils sont réduits à continuer leur marche.

Cet Emblême represente si bien le sort de tous les Hommes, qu’il n’y en a pas un seul capable de refléchir, qui ne puisse remarquer, qu’avec quelque rapidité que sa Vie s’envole, il a toujours quelque nouveau desir, & quelque chose de plus à souhaiter que ce qu’il possede actuellement. Puis donc que la Nature ne fait rien en vain, comme parlent certains Philosophes, ou, pour m’exprimer d’une maniere plus juste, puisque notre Créateur n’a mis dans nos Ames aucune Passion vague, ni aucun Desir indéterminé, il faut que l’existence future soit le propre objet de cette passion qui nous anime à sa recherche ; & ce manque de repos dans la jouissance du present, cette nouvelle durée, dont nous nous flattons à chaque âge de la vie, cette ardeur qui nous fait toujours aspirer à quelque chose qui est à venir, me paroît, quelque idée que les autres s’en forment, une espece d’Instinct ou de Symptome naturel que l’Esprit Humain a de son Immortalité. [34] Je supose d’ailleurs que l’Immortalité de l’Ame est suffisamment établie par d’autres Preuves ; de sorte que le Desir, dont il s’agit ici, & qui seroit absurde si l’Ame n’étoit immortelle, ne sait que concourir au même but, & leur donner un nouveau poids. Mais qu’il y ait des Créatures doüées de Raison, qui mettent leur gloire à les combattre, c’est ce qui me passe. Il y a quelque chose de si bas & de si indigne dans l’ambition dénaturée de ces Hommes qui se flattent d’être anéantis, & qui se plaisent à penser que toute leur fabrique sera un jour réduite en poussiere, & confondue avec la masse des Etres inanimez, qu’elle mérite autant notre surprise que notre pitié. Quoiqu’il en soit, il n’est pas difficile d’en pénétrer la cause : les Incrédules souhaitent leur anéantissement, parce qu’ils n’ont pas le courage d’être immortels.

Ceci me raméne à ce que j’ai dit dès l’entrée de mon Discours, & me fait ajouter de plus, que, si les grandes actions viennent des pensées nobles & dignes de nous, de même celles-ci sont une conséquence des autres : Mais le Perfide, qui s’est dégradé jusqu’à se mettre au dessous des Bêtes brutes, est bien aise de résigner ses prétentions à l’Immortalité, & de les remplacer par un Bonheur négatif, qui consiste dans l’extinction de son Etre.

L’admirable 3 Shakespear nous donne [35] une vive image du triste & malheureux état, où se trouve une telle Personne à l’heure de sa mort, lorsque, dans la seconde Partie de son Poёme sur le Roi Henri vi. il nous represente le Cardinal de Winchester à l’agonie. Ce Cardinal, qu’on soupçonnoit d’avoir trempé dans l’assassinat du brave Duc de Glucester, lâche quelques paroles entrecoupées, qui marque le trouble d’une conscience bourrelée de son crime. Là-dessus, le Roi, ému de compassion en sa faveur, s’adresse à lui en ces termes : Zitat/Motto► Mr. Le Cardinal, si vous pensez à la félicité du Ciel, marquez-le par le mouvement de la main, & donnez quelque signe de votre esperance. Le Poёte ajoute d’abord : Il meurt, & ne donne aucun signe. *ZM Ce tour marque mieux le desespoir du mourant, que les expressions du monde les plus vives ne pourroient jamais le dépeindre.

D’ailleurs, si l’anéantissement ne peut s’obtenir par un souhait, il n’y a rien de plus indigne que de le souhaiter. Que signifient l’Honneur, la Réputation, les Richesses & le Pouvoir, lorsqu’on les compare avec la glorieuse esperance d’une Eternité & d’un Bonheur sans fin ?

Je ne vous retiendrai pas davantage, mon cher Monsieur ; mais je ne saurois m’empêcher de vous avertir, avec tout le sérieux que ces idées m’inspirent, qu’on dit de certaines choses de vous qui ne me plaisent pas, quoique j’aie de la répu-[36]gnance à les croire, & qu’on soit porté à médire de tous ceux qui se distinguent par leurs beaux talens. Du moins, je souhaite que vous soyez aussi honnête Homme que vous êtes bon Auteur, & je suis, &c.

T. D. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

T. ◀Ebene 1

1Voyez Tome ii. p. 102. &c.

2Voyez Tome ii. p. 21.

3Voyez Tome i. p. 84. &c. Tome ii. p. 224.