Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXVI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\066 (1716), S. 426-431, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1145 [aufgerufen am: ].


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LXVI. Discours

Zitat/Motto► Animum picturâ pascit inani.

Virg. Æneïd. I. 468.

C’est-à-dire, Il repaît son Esprit d’une vaine Chimere. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Lorsque le mauvais tems m’empêche d’aller à la promenade, je fais souvent partie avec deux ou trois bons Amis, pour examiner des Curiositez qu’on peut voir à l’abri de la pluie. Je me divertis sur tout à la vûë des Tableaux, & il m’est arrivé, lorsque le tems m’a paru fixé à la pluie, d’entreprendre le voïage d’un jour, pour aller voir une Galerie ornée de Pièces des plus habiles Maîtres. De cette maniere, lorsque le Ciel est couvert de nuages, que la Terre est inondée de pluies, & que toute la Nature semble porter le deuil, je passe de ce triste spectacle dans le Monde enchanté de l’Art ; où je trouve des Païsages verdoïans, de superbes Triomphes, [427] de beaux Visages, & tous ces autres Objets qui remplissent l’Esprit d’Idées agreables & qui dissippent cette noire mélancholie, qui ne manque presque jamais de l’envahir dans ces tems sombres & fâcheux.

Allgemeine Erzählung► Il y a déja quelques semaines que je me donnai ce regal, qui s’empara si-bien de mon Imagination, Metatextualität► qu’il y forma un de ces Rêves du matin, que je communiquerai à mes Lecteurs, plutôt comme le premier craïon d’un Songe que comme une Piéce achevée. ◀Metatextualität

Ebene 3► Traum► Allegorie► Il me sembla donc qu’on m’introduisoit dans une longue & vaste Gallerie, dont l’un des cotez étoit rempli de Piéces de tous les Peintres fameux qui vivent aujourd’hui, & dont l’autre étoit garni des Ouvrages des plus habiles Maîtres qui sont morts.

Vers l’endroit où étoient les premiers, je vis plusieurs Personnes occupées à tirer, à enluminer & à dessiner ; mais du côté des autres je ne pus découvrir qu’un seul Vieillard, qui travailloit avec une extrême lenteur, & dont les coups de pinceau êtoient fort délicats.

Je résolus d’examiner tous ces differens Ouvriers, & je m’appliquai d’abord à observer ceux qui se tenoient du côté des Vivans. Le premier que j’y vis étoit l’Orgeuil, qui avoit ses cheveux nouez derrière la tête avec un ruban, & qui etoit habillé à la Françoise. Tous les Visages qu’il tiroit se faisoient remarquer par leur [428] sourire, & un certain air réjoui, qu’il donnoit indifferemment à toute sorte d’âge, de condition & de sexe. Cette gaïeté paroissoit même dans ses Juges, ses Evêques, & ses Conseillers d’Etat : En un mot, tous les Hommes qu’il peignoit, ressembloient à de petits Maîtres, & toutes les Femmes, à des Coquettes. La Draperie de ses Figures, composée de toutes les couleurs éclatantes qui se peuvent mêler ensemble, répondoit très-bien à leurs Visages ; il n’y avoit pas un seul pli de l’habit qui ne voltigeât, & qui n’eût, pour ainsi dire, quelque envie de se distinguer de tous les autres.

A la gauche de l’Orgueil paroissoit un Ouvrier fort laborieux, qui étoit son humble Admirateur, & qui copioit d’après lui. Il étoit habillé en Alleman, & son Nom, que je trouvai assez rude, approchoit un peu de celui de Stupide.

Le troisiéme que j’apperçus, & qui étoit mis en veritable Scaramouche Venitien, s’appelloit Fantasque. Il avoit la main fort bonne pour la Chimere, & il s’exerçoit beaucoup à faire des grimaces & des contorsions. Il s’épouvantoit quelquefois lui-même à la vûe des Phantômes qui couloient de son Pinceau. En un mot, ses Piéces les plus travaillées n’étoiént tout au plus qu’un Songe effraïant ; & l’on ne pouvoit donner à ses plus belles Figures, que le nom d’agreables Monstres.

Le quatriéme de ces Artistes j’exa-[429]minai avoit la main si legere & si prompte, qu’il ne finissoit rien, & que la beauté du Portrait, qui devoit servir de Monument à la Posterité, s’évanouissoit plutôt que celle de la Personne qu’il vouloit peindre. Il travailloit avec tant de précipitation pour avancer besongne, qu’il ne se donnoit pas le loisir de nettoïer les pinceaux ni de mêler ses couleurs. Aussi le nommoit-on l’Avare.

J’en vis un autre, dans le voisinage de celui-ci, d’un naturel tout different, vêtu à la Hollandoise, & qu’on nomma 1’Industrie. Ses Figures étoient admirablement bien travaillées : S’il faisoit le Portrait d’un Homme, il y marquoit jusques au moindre poil du visage ; & s’il représentoit un Vaisseau, il n’oublioit pas une seule corde de tous les agrès. Il avoit garni d’ailleurs une bonne partie de la muraille de ses Tableaux, qui contenoient des évenemens arrivez de nuit, & dont les Figures ne sembloient paroître qu’à la lueur des chandelles allumées en divers endroits de ces Pièces, & qui rendoient tant d’éclat, à cause des raïons du Soleil qui vinrent par hazard à tomber dessus, qu’il ne s’en salut guéres que, du premier coup d’œil, je ne criasse au feu.

Il y avoit divers autres Artistes de ce même côté de la Gallerie, que je n’eus pas le loisir d’examiner ; mais je ne pus m’empêcher de prendre garde à un, qui étoit fort occupé à retoucher les plus belles Piè-[430]ces, quoiqu’il ne fît lui-même aucun Original. Son Pinceau chargeoit tous les traits qui ne l’étoient déja que trop, grossissoit tous les défauts, & empoisonnoit toutes les couleurs qu’il touchoit. Malgré tout le désordre qu’il faisoit de ce côté-là, il ne tournoit jamais la vûe du côté de la Gallerie, où se trouvoient les Ouvrages des Morts. Aussi son Nom étoit-il l’Envieux.

Après avoir parcouru en gros toutes ces Pièces, je n’eus pas plutôt jetté les yeux de l’autre côté, qu’il me sembla d’être environné d’une foule de Spectateurs, & que toutes ces Figures d’Hommes & de Femmes, que je regardis, paroissoient en chair & en os. On voïoit tout de suite dans une rangée celles de Raphael, dans une autre celles du Titien, & dans une troisiéme celles de Gui Rheni. Des Piéces d’Hannibal Carrache, de Corregie, & de Rubens servoient à garnir divers endroits de la muraille. En un mot, il n’y avoit pas un seul habile Peintre, de tous ceux qui sont morts, qui n’eût contribué à l’ornement de ce côté de la Gallerie. Les Personnes, qu’ils y ont représentées, ne differeroient entre elles que pour la taille, la mine, le teint & les Habits. D’ailleurs, tout y étoit animé, & ne sembloit avoir besoin que de la respiration.

A la vûe d’un bon Vieillard, qui se traînoit d’une Peinture à l’autre, qui en retouchoit quelques endroits, & qui étoit [431] seul dans ce Quartier, je ne pus m’empêcher d’être attentif à tous ses mouvemens. Son Pinceau me parut si leger, que ses coups étoient imperceptibles, & qu’après avoir touché un million de fois au même endroit, à peine y pouvoit-on observer quelque difference. Mais occupé sans cesse à cet ouvrage, il effaçoit à la longue le moindre petit lustre discordant qu’il y avoit : Il ajoûtoit même un brun si naturel aux ombres, & adoucissoit si-bien les couleurs, qu’il rendoit chaque Figure plus parfaite qu’elle ne l’étoit d’abord au sortir des mains de l’Ouvrier. A mesure que je contemplois ce vénérable Vieillard, je découvris, par la longue tresse de cheveux qui lui pendoit sur le front, que c’étoit le Tems. ◀Allegorie ◀Traum ◀Ebene 3

Metatextualität► Je ne sai si le sommeil m’abandonna ici, parceque le fil de mon Songe étoit interrompu, mais frapé de l’idée de ce vieux Phantôme, je m’éveillai tout d’un coup. ◀Metatextualität ◀Allgemeine Erzählung

C. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1