Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXVI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.1\026 (1716), S. 163-169, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1107 [aufgerufen am: ].


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XXVI. Discours

Zitat/Motto► Fervidus tecum Puer, & solutis
Gratiæ zonis, properéntque Nymphæ,
Et parum comis sine te Juventas, Mercuriúsque.

Hor. L. I. Od. XXX. 5, &c.

C’est-à-dire, Amenez avec vous le folâtre Cupidon : que les Graces vous y accompagnent dans leur air négligé : que les Nymphes soient à votre suite avec Mercure & la Jeunesse, qui, sans vous, a si peu d’agrément. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Fremdportrait► Un de mes Amis a deux Filles, que je nommerai Latitia & Daphné ; La premiere est une des plus grandes Beautez du Siecle où nous vivons, & l’autre n’a point de charmes qui la fasse <sic> remarquer. Leur bonne & leur mauvaise fortune dans cette vie semblent dépendre de cette unique circonstance exterieure. Latitia, qui, dès le berceau, n’a jamais entendu que des éloges de ses traits & de son teint, est ainsi demeurée telle que la Nature l’a faite, c’est-à-dire un très-bel Objet pour les yeux. Convaincue de ses charmes elle est d’un orgueil & d’une insolence, insuportable à tous ceux qui l’approchent Daphné, qui avoit près de vingt ans avant qu’on lui eût fait la moindre civilité, se vit obligée à [164] perfectionner ses talens naturels, pour suppléer au defaut de ces attraits qu’elle voioit dans sa Sœur. La pauvre Fille ne gagnoit presque jamais sa cause dans les Disputes où elle se trouvoit interessée, on n’avoit aucun égard à ses discours, quoique le bon sens y dominât, réduite à bien peser ce qu’elle avoit à dire avant que d’ouvrir la bouche. Il n’en étoit pas de même de Lattitia ; on l’écoutoit toujours favorablement, & on l’approuvoit, de la mine & du geste, avant qu’elle eût dit un seul mot. Ces differentes manieres d’agir ont produit des effets proportionnez à leurs causes ; Latitia est d’une conversation insipide, & celle de Daphné est fort agréable. Latitia, assûrée de la faveur des autres, n’a point étudié l’art de plaire ; Daphné, très-incertaine du même avantage, n’a dépendu que de son mérite. On voit toujours quelque chose de grave, de chagrin & de triste dans la mine de Latitia ; au lieu que Daphné a un air gai, ouvert & tranquille. ◀Fremdportrait L’Hiver dernier, un jeune Gentilhomme vit Latitia à la Comédie, & aussi-tôt il fut son Esclave. Il étoit assez riche, pour n’avoir pas besoin d’Introducteur auprès du Pere de sa Belle. En effet, il ne lui eut pas plutôt parlé, qu’on l’admit dans la Maison avec toute la liberté possible ; mais des airs gênez, des regards severes & des civilitez respectueuses, étoient les plus hautes faveurs qu’il pouvoit obtenir de sa Maîtresse. Daphné le recevoit au contraire avec l’en-[165]joûement, & l’innocente familiarité d’une Sœur, ce qui l’obligeoit à s’écrier bien des fois, Oh, ma chere Daphné, si tu étois aussi belle que Latitia ! —Elle prenoit cette apostrophe avec la gaieté ingenue & ordinaire d’une Fille, qui agit sans aucun dessein particulier. Cependant il soupiroit toujours en vain pour sa Belle, & il ne manquoit jamais de consolation auprès de l’agréable Daphné. Ennuié à la fin de la sotte fierté de l’une, & charmé de la bonne humeur qu’il avoit observé en l’autre, il dit un jour à celle-ci qu’il avoit quelque chose à lui communiquer qui ne lui déplairoit peut-être pas. Ebene 4► Dialog► De bonne foi, ajoûta-t-il, Daphné, je suis amoureux de toi, & j’ai un souverain mépris pour ta Sœur. La maniere dont il fit cette déclaration donna sujet à sa nouvelle Maîtresse de rire à gorge déploiée. Oh, Oh, repliqua-t-il, je savois bien que vous vous mocqueriez de moi, mais je vous demanderai à votre Pere. ◀Dialog ◀Ebene 4 Il n’y manqua pas & le Pere, charmé de n’avoir d’autre soin à prendre que pour sa Beauté, dont il croioit pouvoir se défaire quand il voudroit, reçut sa demande avec autant de joie que de surprise. Pour moi, je n’ai rien trouvé de si divertissant que la Conquête de mon Amie Daphné. Toutes ses Connoissances la félicitent de son Bonheur imprévû, & se moquent de l’Affectation meurtriere de sa Sœur. Si c’est une petitesse d’Esprit, de nous désoler pour quelques défauts que nous tenons de la Nature, il n’est pas [166] moins indigne de nous enorgueillir pour des avantages que nous recevons de sa liberalité. Il semble que les Femmes, s’il m’est permis de le dire, sont presque incorrigibles à cet égard. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 Metatextualität► Quoi qu’il en soit, je vais inserer ici, en leur faveur, l’Extrait d’une Lettre qu’un de mes Amis a écrite sur les Beautez de profession, qui ne sont guéres plus supportables que les Hommes qui se piquent de bel esprit. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Mr. de St. Evremond avance à la fin, d’un de ses Mélanges, que les derniers soupirs d’une belle Femme ne regardent pas tant la perte de sa Vie, que celle de sa Beauté. Peut-être qu’il pousse cette raillerie un peu trop loin ; mais elle est fondée sur une remarque incontestable, c’est que la plus violente passion du Sexe a pour objet la Beauté, & qu’il en fait sa distinction favorite. De là vient que tous les artifices, qui prétendent la rehausser ou l’entretenir, sont reçus, en genéral, à bras ouverts. Pour ne rien dire de toutes les charlataneries & de toutes les marchandises de contrebande qu’on y emploie, & qui se débitent tous les jours dans cette grande Ville, il n’y a pas une Demoiselle de bonne Famille, dans toute l’Angleterre, qui n’ait entendu parler des vertus de la rosée du Mois de Mai, & qui ne soit munie de quelque Recette pour se conserver le teint. J’ai connu moi-même un habile Medecin, Homme de bon sens, qui [167] après avoir demeuré huit années à l’Université, & voiagé dans plusieurs Etats de l‘Europe, se mit en vogue, par le moïen d’une de ces Eaux artificielles, qu’on croit embellir le visage.

Ce penchant presque universel des Femmes, qui naît du louable motif, ou de l’envie qu’elles ont de plaire, & qui est fondé sur une opinion assez juste, que l’Art peut aider la Nature, m’a donné occasion de reflechir sur les moiens qu’il y auroit de le tourner à leur avantage. Il me semble donc qu’on leur rendroit un service fort agréable, si, pour les tirer des mains des Charlatans & des Empiriques, & les empêcher d’en être les Dupes, on leur découvroit le veritable secret d’entretenir leur Beauté, ou d’en relever l’éclat.

Metatextualität► Mais avant que de toucher, directement à cet article, il est bon de poser un petit nombre de Maximes fondamentales. ◀Metatextualität

I. Qu’il n’est non plus au pouvoir des seuls traits d’embellir une Femme, qu’à celui de la simple parole de lui donner de l’esprit.

II. Que l’Orgueil détruit toute la symmétrie & la bonne grace, et que l’Affectation est plus dangereuse pour les beaux Visages, que la petite Vérole.

III. Qu’une Femme ne sauroit être belle, si elle n’est incapable d’être perfide. [168]

IV. Que ce qui seroit odieux dans une Amie, est difforme dans une Maîtresse.

De ces principes ainsi posez, il est facile de prouver, que le vrai moien d’aider à la Beauté, consiste à orner toute la Personne de tout ce qu’il y a de vertueux & digne de nos Eloges. Par cet endroit seul, celles qui sont l’ouvrage favori de la Nature, ou, pour m’exprimer avec Mr. Dryden, celles qui sont pétries de la plus fine porcelaine du Genre Humain, deviennent animées, & se trouvent en état de faire éclater leurs charmes. C’est aussi par là, que les autres, que la Nature semble avoir négligées, comme des ébauches faites à la hâte, peuvent remedier, en grande partie, à ce qui leur manque.

D’ailleurs, les Femmes n’ont-elles pas été créées, pour épurer les joies & adoucir les amertumes de la Vie Humaine ? & n’est-ce pas en avoir une idée basse & indigne, que de les regarder comme de simples Objets propres à satisfaire les yeux ? On les dépoüille ainsi de l’étendue naturelle de leur pouvoir, & on les met à niveau de leurs Figures peintes. La Beauté relevée par la Vertu, qui captive l’esprit & le cœur, ne forme-t-elle pas un Objet infiniment plus noble ? Que les charmes d’une Coquette sont fades & insipides, si on les compare avec les agrémens réels de l’innocence, de la pieté, de la bonne humeur [169] & de la sincerité de Sophronie ! Ces Vertus ajoutent une nouvelle douceur à celle de son Sexe, & embelissent, pour ainsi dire, sa Beauté. Cette bonne grace, qui n’auroit pû qu’abandonner à la fin la Vierge modeste, se conserver aujourd’hui dans la tendre Mere, l’Amie prudente, & la Femme fidéle. Des couleurs répandues avec art sur du canevas peuvent divertir les yeux, sans toucher le cœur ; & celle qui ne prend aucun soin d’ajoûter les bonnes qualitez de l’ame aux graces naturelles de sa Personne, peut bien amuser les Spectateurs, comme un Tableau ; mais elle n’en triomphera jamais comme une Beauté.

Lors qu’Adam, que 1 Milton introduit sur la Scéne, est occupé à décrire Eve dans le Paradis, & qu’il raconte à l’Ange les impressions qu’il sentit à la premiere vûë de sa Femme, il ne la dépeint pas sous l’idée d’une Venus Gréque ; il ne louë ni sa taille, ni les traits de son visage ; mais il insiste sur le brillant éclat de son Esprit, qui leur donnoit le pouvoir de charmer.

Il faut ainsi que la plus fiere de toutes les Beautez sâche que, malgré tout ce que son Miroir lui peut dire, ses traits les plus reguliers n’auroient ni force ni vie, s’ils n’étoient animez par ce puissant & divin raïon. »

R. B. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

R. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Dans son Poëme intitulé, le Paradis perdu.